le suivit, mourut inconnu : sa personne était odieuse à la cour ; le titre de son poëme rebuta : on ne goûta point des vers durs, hérissés de termes techniques, sans rime et sans harmonie, et l’Angleterre apprit un peu tard qu’elle possédait un poëme épique. Il y avait pourtant de beaux esprits et des poëtes à la cour de Charles : Cowley, Rochester, Hamilton, Waller y brillaient, et Shaftesbury hâtait les progrès de la pensée, en épurant la prose anglaise. Cette faible aurore se perdit tout-a-coup dans l’éclat du siècle de Louis XIV : les beaux jours de la France étaient arrivés.
Il y eut un admirable concours de circonstances. Les grandes découvertes qui s’étaient faites depuis cent cinquante ans dans le monde, avaient donné à l’esprit humain une impulsion que rien ne pouvait plus arrêter, et cette impulsion tendait vers la France. Paris fixa les idées flottantes de l’Europe, et devint le foyer des étincelles répandues chez tous les peuples. L’imagination de Descartes régna dans la philosophie, la raison de Boileau dans les vers ; Bayle plaça le doute aux pieds de la vérité ; Bossuet tonna sur la tête des rois ; et nous comptâmes autant de genres d’éloquence que de grands-hommes. Notre théâtre sur-tout achevait l’éducation de l’Europe : c’est-là que le grand Condé pleurait aux vers du grand Corneille, et que Racine corrigeait Louis XIV, Rome toute entière parut sur la scène française, et les passions parlèrent leur langage. Nous eûmes et ce Molière plus comique que les Grecs, et le Télémaque plus antique que les ouvrages des anciens, et ce Lafontaine qui ne donnant pas à la langue des formes si pures, lui prêtait des beautés plus incommunicables. Nos livres, rapidement traduits en Europe et même en Asie, devinrent les livres de tous les pays, de tous les goûts et de tous les âges. La Grèce vaincue sur le théâtre, le fut encore dans des pièces fugitives qui volèrent de bouche en bouche, et donnèrent des ailes à la langue française. Les premiers journaux qu’on vit circuler en Europe, étaient français, et ne racontaient que nos victoires et nos chef-d’oeuvres. C’est de nos académies qu’on s’entretenait, et la langue s’étendait par leurs correspondances. On ne parlait enfin que de l’esprit et des grâces françaises : tout se faisait au nom de la France, et notre réputation s’accroissait de notre réputation.
Aux productions de l’esprit se joignaient encore celles de l’industrie : des pompons et des modes accompagnaient nos meilleurs livres chez l’étranger, parce qu’on voulait être partout raisonnable et frivole comme en France. Il arriva donc que nos voisins recevant sans cesse des meubles, des étoffes et des modes qui se renouvellaient sans cesse, manquèrent de termes pour les exprimer : ils furent comme accablés sous l’exubérance de l’industrie
Nec rude quid prosit video ingenium.
Horat.