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LES MENDIANTS DE PARIS

M. de Rocheboise ni des desseins de Pierre contre lui, avait déjà oublié tout cela. Le jardinier, après avoir assisté à l’écart à la scène du matin, sentait sa vengeance satisfaite, et il était redevenu d’une entière sérénité.

— Mais qu’il fait donc beau ce soir !… mon Dieu ! qu’il fait donc beau ! disait Marie en regardant le ciel.

— Le temps tiendra, dit le vieillard ; nous finirons les herbages d’arrière-saison avec cette lune.

— Ce n’est pas assez, reprit la jeune fille. Le beau temps, il faudrait que ça durât toujours.

— Vraiment, mon enfant, dit Pierre, ce n’est pas la peine de désirer pour si peu. Qu’importe la bonne ou la mauvaise saison, quand le contentement est toujours le même.

— C’est vrai.

— Combien de fois l’orage, la grêle ont une belle nuit massacré tous nos plançons !… Est-ce que cela nous attristait ? Nous pensions que c’était de l’ouvrage à refaire, et voilà tout. Tu me disais : Pierre, tu vas recommencer à piocher, moi à semer ; tu sais comme, ça va bien quand nous travaillons ensemble. Je t’embrassais, et nous étions heureux comme des dieux.

— Oui, bien heureux !… tu as raison, Pierre… mais il faudrait au moins qu’il fît toujours clair de lune comme ce soir.

— Pourquoi ?

— Parce que cela ressemble au jour… Et le jour m’est bien cher… c’est le temps où je suis près de toi… tandis… que la nuit…

— Nous sommes séparés… à présent, mais bientôt… Va, mon enfant, se hâta d’ajouter Pierre, qui voyait la jeune fille baisser la tête avec embarras, il est bien indifférent que le temps change quand au fond du cœur on est toujours le même. C’est là qu’est la vie.

— Oh ! oui, répondit-elle, rester toujours comme nous sommes, c’est ce qu’il peut arriver de mieux.

— Ma parole, reprit Pierre, si on venait m’offrir de l’argent tout gagné, je crois que je n’en voudrais point.

— Non, dit gravement Marie, cela dérangerait nos comptes.

— Si on m’offrait la plus belle maison du village à la place de la nôtre…

— Oh ! tu n’en voudrais pas non plus, interrompit la