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LES MENDIANTS DE PARIS

jeune fille. Quitter la maison tu m’as recueillie ! tu m’as fait manger toute petite sur tes genoux ! où j’ai goûté le premier morceau de pain qui n’ait pas été mouillé de mes larmes.

— Et si on voulait seulement nous donner des rentes et des garçons pour faire l’ouvrage.

— Tu refuserais encore, Pierre… ne plus travailler ensemble, ce serait trop malheureux !

— Rester toujours comme nous sommes : tu as dit le mot, Marie.

— Qu’il ne nous vienne rien de plus.

— Si ce n’est la Saint-Martin, dit Pierre avec finesse.

Marie rougit comme elle le faisait toujours à ce nom de la Saint-Martin, qui représentait pour eux le jour du mariage. Pierre la regardait avec un sourire sur les lèvres et une ineffable tendresse dans les yeux.

Le vieil Augeville les contemplait tous deux ; il pensait à sa jeunesse, à sa femme, à la naissance de son fils. C’était encore l’amour à un autre âge.

Il suffit au bonheur des êtres purs d’une laborieuse indépendance, de la solitude avec l’amour. Et le ciel était si beau ! le monde était si loin ! Ces trois personnages de la famille Augeville, par leur obscurité, leur isolement, leur désir de rester à l’ombre, devaient se croire aussi abrités des atteintes du monde, que le sont, par l’étendue de la mer, les habitants des eaux au fond de leur grotte de mousse et de corail.

— Il faut pourtant rentrer, dit Marie… il se fait tard.

— Tout à l’heure.

— La mère Geneviève me gronde quand je la réveille… C’est vrai, pauvre femme, si vieille et si souffreteuse, elle n’a de bon temps que le sommeil.

— Et puis à manger les bonnes petites, choses que tu lui apprêtes… Je ne sais comment tu en trouves le temps.

— Je lui prépare tout cela le matin, avant de sortir, et je le mets auprès de son lit. Si tu savais toutes les bénédictions qu’elle me donne !

— Et cela te fait plaisir ?

— Oh ! oui… quand j’ai pu faire un peu de bien aux pauvres malheureux, et que je m’en reviens avec leur reconnaissance, les prières qu’ils font pour moi……