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LES MENDIANTS DE PARIS

c’est quelque chose d’étrange, il me semble que ça me grandit ; il me semble, ces jours-là, ajouta-t-elle en riant, que tu vas m’embrasser sans te baisser.

— Marie !… ma femme !… aussi bonne que belle ! Ils restèrent quelque temps en silence, les mains l’une dans l’autre, les yeux baissés, dans cette naïve attitude des amoureux de campagne. Puis Marie répéta avec un soupir :

— Il faut pourtant s’en aller… Oh ! c’est qu’il fait si beau ce soir !

— Va, mon enfant, dit le père Augeville ; il te faut la nuit pleine pour te reposer.

Elle apporta son front à baiser au vieillard, en lui disant de sa plus douce voix :

— Adieu, mon père, bonne nuit !

Puis elle descendit par la longue allée du milieu avec Pierre, qui tenait le bras passé à sa taille.

Ils allaient à pas bien lents, et un rossignol qui connaissait Marie, volant d’un arbre à l’autre tandis qu’ils avançaient, remplissait tout leur chemin de son chant.

— Allons doucement, disait Pierre en retenant encore les pas de la jeune fille, puisque je ne peux t’accompagner que jusqu’au bout du jardin.

— Plus, cela ferait jaser.

— Alors, il faudrait que le jardin fût bien long.

— Et le voilà déjà fini !

— Adieu, Marie, dit-il en l’embrassant.

Et comme elle avait déjà passé la claire-voie, il la rappela.

— Quoi donc ? dit-elle.

— Marie, à demain !


VI

Le vieux jardinier était déjà couché et endormi.

Son fils n’éprouvait point les mêmes dispositions au sommeil ; les battements de son cœur surexcitaient la vie dans son sein ; sa tête, agitée et brûlante, avait plus besoin d’aller se rafraîchir dans des flots d’air pur de la nuit que de reposer sur l’oreiller. Il ferma la porte de la maison, et, prenant à travers les champs, alla errer sur une partie de la colline, qui n’a que des herbages et des buissons épars autour des petites maisons du hameau, entre la route communale et le bord ombreux de la Seine.