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LES MENDIANTS DE PARIS

VII

Pierre, préoccupé malgré lui des accents douloureux qu’il avait cru entendre sortir de la voiture, et mêlant la pensée de Marie à toutes ses impressions, avait voulu, en rentrant chez lui, passer devant la cabane de la jeune fille ; il lui semblait que, sous sa fenêtre, un instinct du cœur lui apprendrait si Marie reposait paisiblement. Arrivé : à cette petite maison, il en avait vu la porte ouverte et, montant précipitamment, avait trouvé la chambre vide.

Alors, un éclair étant venu luire dans son esprit, il avait couru à la maison Rocheboise. Tandis que la voiture, en suivant la route, faisait un assez long détour, Pierre, s’élançant dans sa course par-dessus les haies vives, les murs d’appui, les ruisseaux, avait fait le trajet à vol d’oiseau, et était arrivé, comme on l’a vu, presque aussitôt que le ravisseur.

Maintenant, il venait de rapporter la jeune fille, brisée et mourante, dans la chambre qu’elle occupait chez Geneviève.

Pendant la marche, une chaleur bienfaisante avait rendu la connaissance à Marie, pressée sur le cœur de Pierre. Elle reconnaissait son sauveur, son constant et cher appui, sa cabane où elle se sentait alors en sûreté. Mais elle ne pouvait parler et tenait ses deux mains pressées sur sa poitrine, où se faisaient sentir les plus vives douleurs. Elle demeurait sur son lit dans une attitude raide et immobile, où passaient encore parfois des tressaillements semblables à ceux de la terreur, quoique son visage fût entièrement calme.

Marie, dans tout le cours de sa vie, n’avait jamais vu de nègre, ce qui peut se comprendre en pensant à son jeune âge et à la retraite exclusive où elle avait vécu. En se trouvant, à l’instant où elle sortait en sursaut du sommeil, emportée par cet être noir, hideux, fantastique pour elle, et dont les regards lui révélaient vaguement les intentions lascives, elle s’était crue la proie du démon, et entraînée au fond des enfers pour y subir le supplice d’une union avec ce monstre.

Cette épouvante, naturelle avec sa foi naïve, sa croyance aux esprits des ténèbres, sombres, affreux, tels qu’on les dépeint, avait en peu d’instants miné son organisation si frêle ; les vaisseaux du cœur s’étaient rompus dans des