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LES MENDIANTS DE PARIS

qual pour s’en faire un étendard, et agite en l’air le grand feutre en s’écriant :

— En danse ! en danse ! pristi ! mille tonnerres ! et vive la joie !

À ce signal, le nègre saisit ses cymbales, saute sur la table et frappe de toutes ses forces ; le marquis se place près de lui, râclant son violon ; les joueurs de vielle, de clarinette, d’orgue, de fifre, de tambour de basque, arrivent à leur tour, portant, roulant leurs instruments ; ils grimpent en foule et s’amoncellent sur l’estrade. C’est un orchestre monumental et dont le prélude criard, tapageur, remplit déjà les airs.

Il se forme des groupes de danseurs que le commandant Robinette anime du geste et de la voix.

— La salle est trop petite ! crie-t-on de tous côtés : on étouffe !… la salle est trop petite, !…

— Cassez les verres, les bouteilles, les assiettes ! Cassez tout ! crie plus haut Robinette, tout à fait grise.

— Ça n’agrandirait pas la salle.

— Cassez les murs ! reprend la petite fille.

— Oui !… oui ! ça nous agrandira de toute la seconde pièce ! disent les plus pétulants. À bas la muraille !

— Au fait, ça nous est bien égal ! répondent les autres. À bas la muraille !

— Mais ça va augmenter les frais ! dit avec désespoir l’économe Jean-Marie ; ça va augmenter les…

On ne l’entend pas ; sa voix est couverte par le cri répété :

— À l’assaut !… à l’assaut !

On court à l’arsenal, au tas de béquilles posé dans un coin ; on saisit les bâtons, madriers, manches à balais ; tous les mendiants, infirmes au grand jour, tous les boiteux, manchots, aveugles, perclus, sont maintenant de vigoureux gaillards qui chargent le mur, le font retentir, fendre, vaciller… À ce premier succès l’ardeur augmente ; les massues frappent à coups redoublés aux cris de l’enthousiasme et aux sons de l’orchestre, qui va toujours et les accompagne, les anime de sa musique infernale.

Le mur de séparation s’écroule avec un bruit formidable, en répandant un nuage de poussière. Les mendiants poussent des cris de joie et se trouvent très-satisfaits au milieu de cette masse de poudre qui remplit l’espace et obscurcit les quinquets.