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LES MENDIANTS DE PARIS

En un instant on a déblayé le plâtre, dispersé les lumières dans l’enceinte agrandie, et qui offre enfin un espace : convenable pour polker, mazurker, gambader sous tous les noms possibles.

Les mendiants, les mendiantes de tout âge, ceux mêmes qui sont atteints d’infirmités réelles, pour peu qu’ils puissent se tenir sur leurs jambes, prennent part à la danse.

Singulier bal que celui où on voit au premier rang l’affreux père Corbeau, donnant la main à madame Jacquart ; Corbillard, faisant danser mademoiselle Rose ; puis, en face, le gars normand, tenant dans ses bras la délicieuse Robinette… Et toute cette masse de gens à figures, à vêtements divers, variés par les différentes classes auxquelles ils ont appartenu, se mêlant, dansant, tourbillonnant avec ivresse, se livrant avec fureur au plaisir qui semblait si loin d’eux, et qu’ils viennent d’atteindre par une conquête audacieuse, ivres de vin et de grossière volupté, portant la livrée de la misère, montrant l’image de la débauche, laissant éclater au milieu de leurs haillons, sur leurs visages hideux, l’éclair d’une joie effrénée, tellement étrangère sur leurs traits, qu’elle y prend l’aspect de la folie…

Près de là, Herman de Rocheboise était toujours prisonnier…

La difficulté qu’il eût trouvé dès le commencement à sortir de la taverne devant toute cette foule n’avait fait qu’augmenter. D’abord, il ne se fût agi que de s’exposer aux regards de ces hideux compagnons et à leurs insultes ; maintenant que toute l’assemblée, était en mouvement, il y avait une impossibilité matérielle à traverser cette multitude agitée, tourbillonnante ; heurté et refoulé par elle, on n’eût pu de longtemps franchir ses flots pressés.

Mais Herman, craignant moins d’être remarqué par les mendiants plus qu’à moitié ivres, observait du moins le curieux spectacle que lui offrait cette orgie d’un étrange caractère. Toujours dans l’ombre, mais appuyé contre le montant de la porte entr’ouverte, il examinait ce qui se passait sous ses yeux, en ramenant pourtant sans cesse ses regards sur la merveille de la fête, sur la séduisante Robinette.

Cette jeune fille paraissait toujours sous un aspect nouveau.