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LES MENDIANTS DE PARIS

femme à prolonger si tard sa veillée. Il vit, en dirigeant habilement son regard, que le dessin dont elle s’occupait était l’esquisse d’un portrait de lui, qu’elle comptait exécuter à l’huile de grandeur naturelle. Il écouta attentivement : Dubreuil lisait les Lettres de Rousseau ; le lecteur et celle qui l’entendait mêlaient à la page du livre d’ingénieux commentaires.

Cet intérieur était si doux, qu’on pouvait s’y oublier longtemps.

Valentine, d’une taille souple et élancée, était pliée en deux sur son ouvrage ; sa pose exprimait l’abandon de soi-même, le délassement de toute recherche et le plaisir du travail ; son beau lévrier blanc, sa tête relevée et tournée avec expression vers elle, était couché sur le bas de sa robe déroulée par terre. En face d’elle, Léon Dubreuil, occupé d’une simple lecture, avait cependant une expression très-animée qui embellissait infiniment sa figure ordinairement quelque peu froide et sévère.

Excepté cette étendue lumineuse donnant sur le dessin de Valentine et sur le livre de Léon, toute la pièce était plongée dans un demi-jour, peuplé de formes vagues et gracieuses par les sculptures et les objets d’art qui ornaient le salon ; la lecture du style le plus harmonieux, répandait dans l’espace comme une douce musique de l’âme ; le souffle de la nuit, si pur après l’orage, entrait largement par la fenêtre ouverte, apportant les délicieuses senteurs des arbustes du jardin.

L’impression produite par la vue de cet intérieur était si pure et si suave, il s’échappait de cette enceinte un air si vivifiant qu’il semblait que des pensées heureuses, des émotions sereines voltigeassent dans l’atmosphère avec les parfums.

Herman, qui en sortant du lieu où nous l’avons vu, gardait encore présents devant ses yeux le tumulte de la taverne, ses figures ignobles, son atmosphère épaisse, se trouvait plus vivement frappé du tableau offert par ce salon que tout autre ne l’eût été à sa place ; la pureté de cette simple Veillée lui causait un certain étonnement comme l’eût fait une chose nouvelle pour lui.

Mais lorsqu’il fut retiré dans sa chambre et sous les rideaux de son lit, lorsque les images de la petite bohémienne et de Valentine, telles qu’il venait de les voir l’une et l’autre s’offrirent tour à tour à son imagination, il se joignit à l’observation du contraste une certaine honte de