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LES MENDIANTS DE PARIS

de tous genres, offertes à tous les sens, comme s’il n’y eût rien de fait pour lui parmi les joies des vivants. Il passait sa vie à préparer des festins savoureux, des enchantements nouveaux pour chaque nuit, et ne cherchait jamais un moment de plaisir, pour lui-même. Le soir, quand sa dernière ronde était terminée, il remontait chez lui, déposait sa riche livrée pour reprendre ses simples habits d’autrefois, et s’enfermait seul dans sa chambre.

Attaché à la personne du maître de la maison, il ne voyait presque jamais madame de Rocheboise.

Un jour seulement que Valentine priait, dans son oratoire, et que la porte était restée entr’ouverte, Pasqual, qui passait dans le corridor, s’arrêta un instant pour contempler cette femme d’une physionomie si touchante et si belle dans le moment où la lumière intérieur et de l’âme éclairait ses traits.

Valentine, en se relevant, vit cet homme d’un aspect ordinairement rigide et glacé, qui la regardait avec une expression de douleur extrême, et avait les yeux baignés de larmes.

— Vous étiez là, Pasqual ! dit-elle avec surprise.

À ces paroles qui impliquaient un reproche quoiqu’il fût fait avec bonté, le jeune homme répondit d’un ton ému :

— Madame, veuillez me pardonner ; car s’il a été inconvenant de ma part, de m’arrêter à vous regarder, l’excuse que je pourrais vous en donner serait peut-être plus inconvenante encore.

— Parlez, cependant, dit Valentine en souriant.

— Votre vue, madame, la piété angélique empreinte sur vos traits me rappelaient un souvenir bien cher !… Il ne m’était pas permis, sans doute, de faire ce rapprochement ; mais l’âme des femmes pieuses et tendres est la même dans toutes les conditions ; et je n’ai pu, en vous voyant, me défendre d’une illusion… qui a été la seule joie et la seule tristesse survenue depuis longtemps dans ma vie.

Valentine crut découvrir alors que la sombre sévérité ordinairement empreinte sur le front de cet homme n’était pas de la froideur et de l’insensibilité, mais le triste retour d’un bonheur évanoui.

Dans cette pensée, elle allait adresser à Pasqual quelques paroles de bonté, mais celui-ci avait déjà disparu. Et depuis ce jour, outre les occupations qui le retenaient