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— Eh bien, ma mère ?

— Mais je devais me taire… je le devais au nom de ce qu’il y a de plus sacré… maintenant je me suis révélée à toi… mais Dieu a permis que ce fût au moment où… j’allais mourir… pour que je n’en eusse pas le remords.

Valentine, émue de respect et d’admiration, se tenait à demi-prosternée devant la pauvre Jeanne.

— Oh ! pieuse martyre ! dit-elle.

— Les martyrs sont récompensés dans le ciel, dit Jeanne en souriant et en regardant son fils. Moi, je le suis déjà sur la terre ! Voyez !

Mais tant de bonheur précipitait les derniers souffles d’existence dans le sein de la malade, et hâtait sa fin.

Le médecin appelé ne put cacher à ses enfants qu’elle était très-mal, et qu’il n’existait aucun espoir de la sauver. Jeanne, dans un âge peu avancé, avait, par les privations, les souffrances, atteint le dernier degré de la vieillesse ; les sources de la vie étaient épuisées.

Après les émotions puissantes de cette scène, l’état de Jeanne exigeait impérieusement le repos. Herman fut obligé de se retirer en confiant sa mère aux soins de Valentine.

Rocheboise, seul dans son cabinet, resta d’abord livré au sentiment nouveau qui venait de su révéler à lui, et dont son âme aimante à l’excès avait été subitement et profondément pénétrée.

Au bout de peu d’instants, cherchant autour de lui quelque chose qui lui rappelai sa mère, ses regards l’amenèrent sur la lettre qu’elle lui avait envoyée.

En retirant la première feuille de l’enveloppe, il en vit une autre qui n’avait pas, la veille, attiré son attention, étant trop occupé du titre qui assurait sa délivrance.

Ce dernier papier était une lettre sans adresse. Herman, en l’ouvrant, vit une écriture parfaitement inconnue, d’autant plus qu’on pouvait ne pas même la reconnaître pour de l’écriture : c’étaient plutôt les gros jambages qui servent d’apprentissage à la formation des lettres.

Herman, cependant, déchiffra ces mots :

« Oh ! Pasqual, au milieu de mes grandeurs, je ne t’ai pas un instant oublié ! Tu me fuis, tu me dédaignes, et je t’aime, oh ! Pasqual ! »

On reconnaît cette lettre, chef-d’œuvre de Robinette, et tracée par elle à la sueur de son front.

Le premier sentiment qui domina Herman en la lisant fut l’humiliation poussée au degré extrême. En élevant à lui une fille de la classe la plus misérable, en la comblant de richesses, en l’aimant de l’amour des sens, superficiel, mais idolâtre, il n’avait pas même pu en être aimé, ni se placer dans le cœur de la petite créature au-dessus d’un valet… Il devint d’une rougeur brûlante en songeant aux caresses passionnées qu’il avait prodiguées à cette forme de femme, admirablement belle, mais ne contenant que cendre au fond… en songeant qu’il avait pressé contre son sein un sein où habitait l’image d’un mendiant !

Si la femme entretenue eût été près de lui en ce moment, il l’aurait tuée, non par colère, mais pour l’effacer de la terre, dans la honte qu’il éprouvait pour lui, dans le dégoût qu’il éprouvait pour elle…

Cependant quelques minutes s’étaient à peine écoulées, que le jeune homme en était venu à un sentiment plus sensé, à une pitié froide et dédaigneuse pour l’objet de ses récentes folies. Il songeait aux relations qui avaient existé entre Robinette et Pasqual : il se disait qu’après tout la petite fille des rues était restée fidèle à son origine, à sa nature, en aimant un de ses compagnons du vagabondage… qu’on ne pouvait pas lui demander un amour élevé… pas plus que des fruits précieux à un arbuste sauvage…

Le secret de ce changement louable ne venait cependant pas d’une source élevée, mais de l’imperfection du cœur, toujours prêt à faiblir dans ses attachements légitimes ou coupables. Herman avait perdu beaucoup de son enthousiasme pour la jolie bohémienne, et un commencement d’indifférence aida la sagesse à triompher en lui.

Il se décida donc à l’instant à laisser à sa maîtresse tout ce qu’il lui avait donné mais à lui intimer l’ordre de sortir de sa maison, et surtout a ne jamais la revoir. Pour Pasqual, Herman était si bien guéri en ce moment, qu’il ne sentait ni haine ni colère contre son infime rival : la