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lettre même de Robinette prouvait que cet homme n’avait jamais profité de l’amour malheureux que la plus jolie créature du monde éprouvait pour lui, et cette délicatesse louable ne devait que le mieux faire apprécier par son maître.

Herman enfin se demanda par quel étrange assemblage la lettre d’amour de la petite courtisane se trouvait avec le reçu de son créancier.

Il réfléchit quelques minutes, et, après avoir trouvé le fil de ce mystère, il s’écria dans un élan de pieuse reconnaissance :

— Ô ma mère !… ma mère ! elle a voulu me sauver des dangers que je me créais à moi-même comme de ceux qui me menaçaient… Elle est venue m’arracher à un amour avilissant, à des mœurs indignes de moi… Ô mon ange protecteur, ma mère, sois deux fois bénie !

En effet, quelques mots prononcés par Jeanne avaient appris à son fils que, dérobée par les arbres du jardin, elle avait assisté, témoin invisible, à son entretien avec Pasqual, à la suite de la soirée donnée dans le pavillon clandestin. Là, aussi, la lettre destinée à Pasqual avait pu tomber entre les mains du Jeanne, qui s’était trouvée alors en possession de l’arme la plus puissante pour combattre un amour déplorable.

Herman, après que ces lumières eurent pénétré en lui, sentit redoubler son ardente ferveur pour sa mère.

— Qu’elle vive, mon Dieu ! disait-il du plus profond de son âme, que je puisse rendre son sort aussi heureux qu’il a été jusqu’à présent misérable !… Qu’elle vive, je me charge du reste… je trouverai toutes les consolations qui pourront lui faire oublier le passé, toutes les douceurs qui pourront charmer ses derniers jours ; je trouverai des sources infinies de bonheur à lui offrir dans cette seule pensée : c’est pour ma mère !

Ce fut dans de tels sentiments qu’Herman retourna au chevet de la malade.

Quelques jours s’écoulèrent pendant lesquels les dernières forces de Jeanne déclinèrent rapidement. Un matin, à l’heure de sa première visite, le médecin déclara qu’elle ne passerait pas la journée.

Il avait prononcé ces paroles près du lit du Jeanne, qui paraissait entièrement privée de connaissance. Mais la mourante alors tourna son pâle et doux visage vers le jour qui se levait dans tout son éclat, puis vers son fils, dont les traits s’illuminaient de toute la tendresse de l’âme, et elle joignit les mains dans un mouvement de reconnaissance suprême envers Dieu. On vit qu’elle avait entendu son arrêt.


XXVII

une mère.


Jeanne, arrivée aux derniers instants de sa vie, avait enfin dépouillé les insignes de la misère. Elle reposait sur une couche blanche et fine ; sa tête, soulevée sur un oreiller, et belle encore, était enveloppée de mousseline et de dentelles, le reflet des rideaux se fondait avec sa pâleur pure et transparente ; ses formes délicates se dessinaient sous les longs plis de la toile : entre ses mains s’enlaçait encore son chapelet. Elle était peu dissemblable ainsi d’une statue qui dans l’attitude du recueillement éternel, repose sur une tombe,

À l’heure de la mort, qui exalte les facultés de l’âme, on revoit d’une manière lucide le cours du son existence dont le tableau est accompli. Ainsi Jeanne, en ce moment, retrouvait dans sa mémoire tous les événements de sa vie, qui reparaissaient comme éclairés d’une lumière nouvelle.

— Mon fils !… mon Herman ! disait-elle, je dois te faire connaître celle qui fut ta mère… Je veux rappeler mon passé tout haut… devant toi… afin que ta pitié me soulage et me suive là-bas…

— Demain, ma mère, dit Herman d’une voix tremblante, vous aurez plus de force pour retracer ces tristes souvenirs.

— Demain les souvenirs mêmes ne seront plus… Laisse-moi donc la douceur de les déposer aujourd’hui dans ta mémoire, pour qu’ils y demeurent après moi.

Herman, assis auprès du lit, pencha la tête sur les mains