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LES MENDIANTS DE PARIS

prise et de répulsion, et fit quelques pas en arrière.

— Pardonnez-moi, monsieur, dit la vieille en se levant, si j’ai osé m’asseoir ici… mais je suis venue apporter ici ces deux pots d’héliotropes que madame de Rocheboise avait choisis chez la fleuriste de la rue Saint-Dominique… et, quoiqu’ils pèsent bien peu, mes forces étaient à bout en achevant de les monter… J’ai été obligée de me reposer une minute pour ne pas défaillir.

Ce peu de mots furent prononcés d’une voix faible et tremblante, mais qui n’avait rien du ton lent et plaintif qu’affectent les pauvres.

— Restez assise, ma bonne femme, dit avec douceur Herman, chez qui le sentiment d’humanité s’éveillait toujours promptement.

Puis il fit le tour du pavillon, examinant, les fleurs par contenance, et attendant encore mademoiselle Hélène, qui, selon son espoir, ne pouvait pas tarder à venir. Cependant, il avait relevé entre ses doigts, regardé et respiré grand nombre de corolles, depuis les tiges exhaussées du superbe dahlia jusqu’à la fleurette de l’héliotrope à deux doigts de terre, et la sonnette de la petite porte ne se faisait pas entendre de nouveau.

Pendant cela, les rayons du soleil, qui n’avaient que les étroites ouvertures des jalousies pour se glisser, s’étaient rapidement éteints, et l’ombre régnait seule dans le pavillon quand Herman se retrouva devant la pauvre vieille.

— Que faites-vous pour vivre ? ma brave femme ? lui demanda-t-il.

— Quand je peux marcher, je mendie mon pain, ou je fais de petites commissions telles que celle dont on m’a chargée ce soir ; quand le mal est plus fort, je reste dans mon lit, attendant les secours que les autres mendiantes veulent bien m’apporter… Et j’ai un jour de plus à vivre tant qu’on ne m’oublie pas…

— Oh ! c’est bien triste… Mais désormais on vous assistera, soyez-en sûre… Vous n’avez donc ici personne qui s’intéresse à vous… ni parents ni enfants ?

— Ni même une terre natale ; je suis étrangère.

— Pauvre femme !

_ Oh ! dit-elle avec un sourire douloureux, cette position où je me trouve, cette borne de la rue, ce pain de l’aumône, je suis venue les chercher de bien loin !