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LES MENDIANTS DE PARIS

on songe aux devoirs à remplir, qu’on voit auprès de soi quand l’intelligence s’élève vers Dieu, qui apparaît toujours dans les moments où l’homme est le plus digne de lui-même…

Ce langage, l’accent qui l’accompagnait, étonnaient et pénétraient Herman ; il écoutait celle qui lui parlait ainsi avec une surprise toujours croissante.

— Il est vrai, répondit-il, et vous savez bien juger des sentiments élevés.

— Quelle différence, reprit la vieille femme, de cet amour profond, durable, avec celui qui vient au hasard, d’un caprice, d’une rencontre vulgaire, qui s’attache à la nuance d’une chevelure, au coloris d’un visage, à la finesse ou à la rondeur d’une taille… amour si léger et si incertain de lui-même, qu’il ne se connaît aucune raison, que dans la même personne une chose le repousse, tandis que l’autre l’attire, et que l’homme qui fait des folies, qui se ruine, qui se déshonore pour certaine femme, s’il descendait franchement au fond de sa conscience, ne serait pas certain d’être amoureux ou non.

Un attrait indéfini rendait Herman attentif malgré lui à ce langage.

— Mais si de telles fantaisies sont bien futiles, continua-t-elle d’un accent profond et pénétrant, les conséquences en sont graves. Quand l’amour passager et illégitime d’un jeune homme se tourne vers un objet indigne et méprisable, c’est la honte pour lui ; quand il s’attache à une pure et sainte créature, c’est quelquefois la mort pour elle !

Herman tressaillit et pressa son front de ses mains. Une vive émotion s’était emparée de lui.

La mendiante dit encore :

— J’ai remarqué, en entrant dans ce pavillon, une belle tige de liserons dont les cloches roses étaient toutes flétries et refermées pour toujours : un insecte avait piqué la tige mince comme un fil qui soutient ces fleurs, et tout était fini. C’est aussi un fil d’existence bien fragile qui soutient la fraîcheur, la beauté d’une jeune fille : il suffit parfois d’y toucher pour que toute cette belle floraison se penche et tombe vers la terre.

Elle avait prononcé ces derniers mots d’une voix sourde et brisée ; Herman, palpitant, s’écria :

— Oh ! ce ne sont pas là des paroles vagues dans votre bouche… mais une leçon !… un reproche pour moi !…