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LES MENDIANTS DE PARIS

— Mais qui sait !… le coudrier avait ton âge… il était si vert et si beau encore l’été dernier !… Et maintenant le voilà mort.

— Écoute, mon enfant, dit gravement Pierre : je vois que tu es seule au monde, et d’une solitude plus triste que celle de l’orpheline, car les parents sont vivants et ils l’abandonnent. Eh bien ! je te promets de vivre pour te protéger, pour veiller sur toi. Tant que tu seras sur cette terre, j’y resterai à tes côtés, toujours fort pour t’aimer et te soutenir. Ce que je le dis semble une folie, et cependant cela est sur… je le sens là… comme je sens aussi que si je te perdais, je ne pourrais te survivre et mourrais le même jour que toi.

Marie n’avait pas encore dix-huit ans, et elle était même enfant pour son âge ; elle se rassura à cette promesse solennelle de Pierre, sourit et s’essuya les yeux.

Le jeune jardinier, pour achever de la consoler, l’emmena à quelque distance cueillir des cerises, dont il venait de remarquer la belle maturité.

Les branches étaient hautes ; Pierre, de ses deux mains vigoureuses, enlaça la ceinture de la délicate enfant, légère comme un oiseau, et la lança sur sa large épaule, où elle demeura assise à l’aise pour faire sa moisson.

Marie avait passé à son bras un panier où elle déposait à mesure les cerises, et Pierre demeurait immobile avec beaucoup de patience. Mais après l’émotion qu’ils venaient d’éprouver, dans une vie où les troubles même du cœur étaient si rares, ni l’un ni l’autre n’étaient dans leur situation ordinaire. Marie, par une inadvertance bien contraire à ses habitudes, laissa tomber le panier, et toutes les cerises dégringolèrent.

Elle descendit bien vite les chercher et en faire sur le gazon une seconde cueillée. Pierre, pour la punir de sa maladresse, l’embrassa. Pour la première fois, Marie oublia ce modeste mouvement de tête qui détournait le baiser et le plaçait sur son front, ce furent ses lèvres que les lèvres brûlantes du jeune homme rencontrèrent.

Ce jour-là, Pierre cessa tout à coup d’appeler la jeune fille sa sœur, et déclara à son père qu’il voulait épouser Marie.

À la manière tendre, respectueuse, mais en même temps si ferme dont il annonça ce projet, le rôle du père se réduisait à désigner le jour du mariage. Le vieillard en fixa l’accomplissement à la fin de la saison, qui aurait mis une