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LES MENDIANTS DE PARIS

struction, au siècle dernier, étaient d’ailleurs d’un luxe terni, dégradé en quelques parties, mais conservant encore quelque richesse d’ornement et l’empreinte nobiliaire.

M. Herman de Rocheboise, beau jeune homme de la haute sphère parisienne, s’occupait à faire splendidement les honneurs de sa maison à une douzaine d’amis. Les repas étaient longs et magnifiques ; le jeu occupait une partie de la nuit ; tous les accessoires nécessaires à la vie des jeunes gens à la mode avaient été apportés de Paris : on trouvait partout sous sa main le confort des mets et des liqueurs choisies, le luxe de la toilette et celui de la tabagie.

Ces messieurs, tout en étant venus à la campagne, trouvaient bien le moyen de s’y soustraire entièrement. On s’enfermait dans le salon, dont les jalousies bien closes, les rideaux baissés, ôtaient hermétiquement l’air et la vue des champs ; les lambris étaient garnis de fusils anglais, de belles armes de chasse, de pipes de toute espèce ; l’atmosphère, empreinte de fumée de cigare, de vapeurs de café, donnait encore à respirer l’air des boulevards. Mollement étendu sur de larges divans, on passait la bonne journée à causer des nouvelles apportées de Paris, à lire les journaux, à jouer ou à écouter les histoires d’aventures galantes, tout en fumant ou même en sommeillant doucement à ces récits.

Cependant Herman s’était promis d’admirer et de goûter les charmes de la belle nature pendant son séjour à la campagne ; et, comme il n’avait que huit jours pour tenir cet engagement avec lui-même, il s’en occupa, dès le lendemain de son arrivée.

Levé avec le jour, accoudé à sa fenêtre qui donnait sur le rivage, il contempla le magnifique tableau déroulé devant lui. C’était un immense horizon de verdure, coupé par le cours large et brillant du fleuve ; des groupes de saules tout enveloppés de leurs gracieuses tiges, et de superbes peupliers, dont la cime majestueuse était encore agrandie par les dernières ombres du matin ; au-dessous des maisonnettes enveloppées de verdure comme des roses mousseuses et tout ce paysage baignant dans l’atmosphère azurée du crépuscule, où venaient tomber du levant de longues gerbes d’ors.

Herman, en ramenant son regard vers l’allée d’ormes de la maison, vit une jeune paysanne qui, un panier au bras, la jupe un peu relevée, marchait dans la bruyère