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LES MENDIANTS DE PARIS

baignée de rosée. Dans le cadre formé par la perspective des arbres, se dessinait un petit bonnet blanc à papillon, une figure ovale et d’une douce fraîcheur, une taille délicate et légère ; le pied, découvert par les plis formés au jupon, se posait d’un mouvement leste et dégagé sur les hautes herbes ; la corbeille, remplie de verdoyants herbages, était portée au bras avec une grâce particulière ; c’était en tout une charmante apparition.

M. de Rocheboise trouva que cette figure, placée au premier plan du paysage, était nécessaire pour le compléter et y répandait même un charme inexprimable.

Le second jour, à la même heure, la petite villageoise ayant reparu, Herman oublia tout à fait le paysage pour la gracieuse figure.

Le troisième jour, il descendit pour lui parler.


II

La jeune paysanne remarquée par Herman de Rocheboise était Marie, qui, depuis l’arrivée des maîtres, allait chaque matin au château porter la provision d’herbage de la journée.

En ce moment, elle revenait d’un pas léger, faisant gaiement danser par l’anse son panier vide et chantant comme elle avait coutume à l’heure du matin.

Herman l’aborda, lui fit beaucoup de questions sur sa famille, sa demeure, ses occupations dans le village ; toutes choses auxquelles elle répondit avec sa simplicité naïve. Ensuite M. de Rocheboise lui parla d’un établissement à Paris, d’une existence heureuse, brillante, et plus en harmonie avec les dons de grâce et de beauté dont la nature l’avait parée que les rudes travaux des champs.

Marie ne comprit rien à ces insinuations, et, le sujet l’intéressant peu, ne chercha pas à comprendre. Elle était si peu émue et préoccupée de ce qu’on venait de lui dire, qu’en s’éloignant elle reprit le second couplet de sa chanson.

On ne peut se peindre l’ignorance placide de cette jeune fille. À dix-huit ans, elle n’avait pas franchi la limite de son hameau, et dans cet étroit rayon, elle en occupait un plus resserré encore : elle passait le jour enfermée dans l’enclos du maraîcher, la nuit dans la cabane de la vieille femme percluse, si vieille et si percluse qu’elle avait même passé le temps des souvenirs. Le monde était donc aussi inconnu à Marie que s’il n’eut pas existé.