Page:Robert - Les Mendiants de la mort, 1872.djvu/103

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
99
les mendiants de la mort

Le commissaire, ayant jugé qu’un seul matelas de la couche moelleuse qui était sous ses yeux valait plus que le vieil instrument, consentit à l’échange, et le reste du déménagement fut effectué.

Restée seule dans ce grand logement nu, Robinette fut d’abord saisie de stupeur. Cet espace vide et sonore, qui allait devenir si froid, si sombre dans quelques heures, était plus triste que la plus étroite chaumière enfermant le mouvement et la vie. La pauvre enfant regarda autour d’elle et se mit à pleurer.

Mais ses larmes avaient à peine eu le temps de perler sur ses joues, lorsqu’un coup de vent ouvrit une fenêtre. Un air encore tiède pénétra dans la chambre. La jeune fille découvrit le mouvement animé de la rue, toujours attrayant pour elle. Elle entrevit, en ce moment, un parti à prendre.

Robinette n’était pas femme à mûrir longtemps une idée ; dès que celle-ci se fut fait jour dans son esprit, elle courut à sa chambre à coucher, elle prit parmi le peu de vêtements qu’on lui avait laissés une pelisse brune à capuchon et s’en enveloppa… La parure d’émeraudes qu’elle portait ce jour-là était le seul objet de quelque valeur qu’elle possédât encore ; elle l’enferma dans un petit écrin et le mit dans sa poche ; puis elle prit sa harpe et s’élança au dehors.

Au milieu du bruit et du mouvement des rues, la jeune fille se retrouva dans son élément. Elle n’avait pas perdu l’habitude de porter son instrument à la manière des bohémiennes ; et, enveloppée de sa cape brune, sa harpe jetée sur l’épaule, elle cheminait légèrement. En voyant passer près d’elle de petits marchands ambulants, de jeunes vagabonds des rues, ses frères d’autrefois, elle avait envie de leur tendre la main… Depuis un instant, elle se sentait rajeunie de deux ans ; il lui semblait que c’était la veille encore qu’elle errait dans la ville en chantant et en tendant la main, et que son opulence fugitive était un rêve de la nuit dernière.

Robinette reprenait paisiblement, gaiement sa vie vagabonde, mais elle n’avait de projet arrêté que celui-là. Sans argent, sans asile, l’endroit même où elle passerait la nuit suivante était incertain. Elle avait encore en sa possession sa parure d’émeraudes, mais ne savait à qui s’adresser peur la vendre, et d’ailleurs elle n’aurait pu le faire sans danger… Quant à retourner chez sa mère, elle