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Page:Robert - Les Mendiants de la mort, 1872.djvu/122

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les mendiants de la mort

ce dernier sentiment que nous allons exploiter aujourd’hui. Vous aurez le rôle actif et moi je ne serai là que pour vous seconder. Savez-vous l’allemand ?

— Non, mais je parle facilement l’italien.

— Bah !… c’est de l’allemand qu’il me faut.

— À la rigueur j’en barbouille quelques mois.

— Cela me suffira pour faire de vous un réfugié polonais… le public n’y regarde pas de si près… Habillons-nous d’abord convenablement, et ensuite je vous donnerai mes instructions pour terminer la métamorphose.

Cela fait, ils se rendirent chez M. Galuchet, rue Coquenard, 13.

M. Galuchet, négociant retiré des affaires, avait peu d’esprit, beaucoup de vanité, et une très-recommandable fortune. Il avait tenté d’entrer au conseil-général de la Seine, tenté de se faire nommer maire de son arrondissement, ou du moins colonel de la garde nationale, et tout cela n’avait abouti qu’au grade de sergent dans sa compagnie. De dépit, M. Galuchet, détestant l’autorité qu’il n’avait pu obtenir, était devenu libéral à l’excès.

S’il n’était pas la gloire de son parti, il en était du moins la caisse : on lui réservait ordinairement dans chaque disposition prise les dépenses à faire ; en retour, il jouissait des honneurs dus à ses nobles sentiments. Le jour dont nous parlons, M. Galuchet avait prononcé sur la tombe d’un patriote un discours qui lui avait attiré de nombreux suffrages.

En ce moment donc tout était joie, orgueil, épanouissement dans l’âme de M. Galuchet et autour de lui ; il eût voulu faire illuminer l’intérieur de sa maison pour rendre hommage à lui-même. Aussi lorsqu’on vint lui annoncer la visite d’un étranger, se disant réfugié polonais, il fit trêve au plaisir qu’il éprouvait à se répéter à haute voix les plus beaux passages de son discours pour accueillir noblement l’infortune.

— C’est à monsir Kalujat que chai l’honneur te barler ? dit en entrant Rocheboise, vêtu d’une redingote de drap vert à brandebourgs, et suivi de Friquet en habit noir.

— À lui-même. Donnez-vous donc la peine de vous asseoir.

— Vous n’êtes pas, monsir, sans savoir les événements qui ont achité le nord de l’Allemagne et les efforts que les badrioles ont faits pour recoufrer la liberté.