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les mendiants de la mort

— Je le désire, répondit sèchement Léon.

— Les voies publiques sont partout également populeuses, dit Pasqual en intervenant ; mais, ici, on peut trouver un endroit sûr et entièrement solitaire pour s’y retirer un instant,

— Où donc, s’il vous plaît ? demanda Léon.

— Ici, sous la première arche du pont. Le terrain qui touche le cours de l’eau est toujours libre, et nous n’avons que quelques marches pour y descendre.

— En vérité, monsieur Pasqual, vous avez des ressources très-habiles ! dit Dubreuil avec un sourire ironique et en appuyant sur ces mots.

Malgré cette espèce d’acceptation, les deux jeunes gens demeuraient immobiles ; ni l’un ni l’autre ne se souciaient de faire le premier pas pour aller gagner un lieu d’audience dont le choix était plus qu’étrange.

En même temps, la file pressée de la plèbe avançait. Cela semblait être une foule de pauvres gens, mais de gais compagnons qui revenaient de faire une petite fête au cabaret voisin. Quelques ternes lumières marchaient en tête, et on entendait des chants joyeux sortir du milieu de la bande.

La cohue menaçait d’envahir le quai.

— Décidément, on ne peut pas rester ici pour parler d’affaires, dit Dubreuil. Ces gens-là passés, il en viendra d’autres.

Il ajouta dédaigneusement :

— Eh bien !… va pour la salle de réception de M. Pasqual.

Et il prit l’escalier qui conduit sous le pont.

Les deux personnes qui avaient à s’entretenir avec lui descendirent sur ses pas.

Herman, en arrivant dans cet endroit sombre, éprouva un saisissement douloureux… il lui sembla sentir le froid d’une tombe.

La nuit était réellement si noire dans cette profondeur, qu’ils marchèrent d’abord d’un pas mal affermi ; mais dès que leurs yeux furent faits à l’obscurité, ils distinguèrent le terrain uni, un peu exhaussé sur le lit de la rivière et effleuré par ses eaux, chargées en ce moment-là d’épais glaçons.

Ils restèrent quelques instants immobiles et en silence, pour ne pas attirer l’attention de la bande, qui arrivait le long du parapet et se trouvait alors à portée de la vue.