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les mendiants de la mort

La campagne était semée, de loin en loin, de buissons noircis et de rares maisons ; le plus profond silence régnait de toute part ; aucune lumière ne paraissait aux façades ; le ciel, chargé d’épais nuages qui roulaient ou se déchiraient lentement sous la clarté de la lune, versait, sur la longue étendue de neige, des zones mobiles d’ombre et de lumière.

La lourde masse du convoi avançait avec mystère dans ce vaste et morne espace, où rien ne révélait l’existence humaine.

En explorant du regard les champs déroulés à gauche sur la route, Robinette venait de reconnaître l’endroit auquel elle avait songé pour y déposer secrètement le corps du vieillard. C’était une place un peu enfoncée, au pied d’un arbre, vers laquelle aucune façade des habitations voisines n’était tournée, et qu’un pan de mur dérobait à la vue du côté de la route. Le sentier qui devait y conduire était à peu de distance, et on arrivait enfin au terme de la marche.

Comme on en était là, il se fit voir tout à coup, en face des mendiants, un groupe de soldats. C’était une patrouille, qui, venant par une montée de la route, paraissait subitement sur la hauteur, et se trouvait à une cinquantaine de pas à l’instant où on la découvrait.

La terreur qui se répand soudain dans cette foule, innocemment meurtrière, qui allait bonnement cacher sa victime en terre, pensant que tout serait fini par là, et qui se voyait tout à coup surpris en chemin, le tremblement, l’alarme qui la saisit, sont impossibles à rendre.

Chacun se presse l’un contre l’autre, sent ses genoux se dérober sous lui, et n’a plus un souffle de vie ; tous sont prêts à laisser là le corps et à s’enfuir, sans songer à la faible course que leurs jambes pourront fournir.

Mais au même instant le commandant Robinette entonne une chanson à boire, et fait un geste énergique pour engager ses compagnons à l’imiter.

Les mendiants comprennent ; la nécessité leur rend des forces ; ils répètent le refrain joyeux ; les orgues, les clarinettes, les violons, les tambours de basque, sont mis en danse, et font un charivari infernal, tandis que les voix chantent en chœur :

Nous avons queuqu’radis,
Pierre, il faut fair’ la noce ;