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les mendiants de la mort

Moi, vois-tu, les lundis,
J’aime à rouler ma bosse.

J’sais du vin à six ronds,
Qui n’est pas d’la p’tite bière ;
Pour rigoler, montons.
Montons à la barrière !

La patrouille approche… Les mendiants se resserrent davantage autour du mort, en passant tout au bord de la route pour que le mur, comme ils appellent la masse de leurs corps pressés, cache mieux l’objet qu’ils emportent. La patrouille avance encore, passe à côté d’eux ; ils entendent le pas des soldats craquer sur la neige ; ils voient briller leurs fusils, sans oser tourner la tête de ce côté. Les malheureux n’ont pas une goutte de sang dans les veines, mais ils chantent plus haut, et les violons, fifres et tambourins font un tapage à fendre les nues.

On entend que les soldats s’arrêtent et se parlent entre eux.

En cet instant les plus braves de la bande mendiante se sentent mourir.

Cependant leur oreille est tellement tendue du côté de la garde, que, sans interrompre leurs chansons à boire, ils recueillent ces mots que le caporal adresse aux soldats :

— Les gaillards ont passé la nuit à la guinguette ; mais, bah ! ce sont de pauvres diables qui secouent un moment leur misère. Il n’y a pas grand’chose à dire.

— Ah ! murmura Corbillard en se frappant la poitrine, la louange tombe sur nous dans notre iniquité… Que le jugement des hommes est fragile.

Cependant les paroles du caporal ont ranimé tous ces pauvres hères terrifiés, leur sang circule, ils peuvent respirer… Le bruit des pas de la patrouille, qui s’éloigne sans autre forme de procès, achève de les rendre à la vie.

Peu d’instants après, le cortège, conduit par Robinette, tourne à travers champs ; il fraie péniblement sa route en écartant des flots de neige et en laissant une large trace derrière lui ; puis il arrive dans l’endroit enfoncé, au pied d’un grand chêne.

C’est qu’on doit creuser la fosse.

La terre, durcie par la gelée, offre quelque résistance, mais les pioches que les mendiants ont apportées avec eux font leur office, et dans l’ordre qui préside au travail un long trou creux est bientôt ouvert.

On y dépose le corps.