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les mendiants de la mort

ces hommes qui gagnent à coup sûr et dépouillent leur adversaire… Oh ! le génie du mal descend aussi en nous entouré de lumières ; moi, homme de la campagne, j’ai pénétré les mœurs et les secrets des grands pour trouver dans ce monde les ressorts qui devaient précipiter votre ruine.

« La détresse est venue. Vous étiez sans ressource pour fuir la prison ; la pensée vous a été inspirée par moi de créer des faux ; vous vous êtes souillé de ce vol qu’on a marqué du plus grand déshonneur parce qu’il est le plus facile et le plus lâche… Il a fallu y tremper avec vous… J’ai frémi… J’ai pensé à mon père… mais j’ai signé pour vous perdre… Je me suis exposé, livré à une condamnation infâmante pour vous perdre.

« Attendez, attendez encore… Je suis resté attaché à vous dans votre misère… Je l’ai abreuvée d’amertume… J’ai exalté votre jalousie contre Léon Dubreuil ; j’ai exagéré les dangers que vous aviez à craindre de lui ; puis, quand vous avez eu la tête ardente de colère, le cœur débordant de fiel, j’ai déposé un poignard dans vos mains, et je vous ai conduit dans un endroit ténébreux, solitaire, en face de votre rival… Vous savez ce qu’il en est résulté. »

À ces révélations épouvantables, Herman n’éprouvait encore qu’une stupeur glacée, dans laquelle il restait anéanti.

— Oui, reprit Pasqual en laissant tomber de sa hauteur le regard brûlant dont il enveloppait sa victime, oui, Herman de Rocheboise, je t’ai sauvé la vie, mais pour te tuer lentement, pour étouffer un à un chaque souffle de ton être. J’ai anéanti ton repos, tes jouissances de chaque jour en fêtant la fortune ; j’ai tué ton bonheur en te séparant de Valentine ; j’ai détruit ce qui pouvait te rester encore de dignité, d’honneur, en te faisant faussaire, assassin ; j’ai perdu ton âme pour l’éternité en te faisant mourir à la chaîne du bagne, dans la honte et le désespoir.

— Toi ! tu as fait cela ! s’écria Herman en bondissant de son siège et en pressant son front de ses poings crispés. Tu m’as enlacé d’une trame horrible quand je t’ai aimé, protégé, traité comme un ami, comme un frère ! Mais quel être maudit es-tu donc ? quel génie infernal t’inspirait ?…

— Je me vengeais.

— Qui donc es-tu ?

— Pierre Augeville.