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les mendiants de la mort

Herman, pâle comme la mort, se retira pas à pas en arrière et alla tomber sur sa couche de paille.

Le mouvement de la prison redoublait et s’approchait du cachot.

On entendait des pas nombreux et un bruissement d’armes dans la longueur du couloir. La porte du cabanon s’ouvrit, un greffier entra accompagné de fusilliers, et lut aux condamnés l’ordre par lequel ils faisaient partie du départ qui avait lieu le surlendemain pour Rochefort.

Pierre Augeville s’était adossé les bras croisés contre le mur, au-dessous du soupirail. Il ne fit pas un mouvement et ne changea point de visage en entendant l’annonce de son départ.

— Aujourd’hui en prison, demain au bagne, dit-il à Herman quand la porte se fut refermée. Votre sort est accompli : mon rôle est achevé.

Herman avait à peine entendu ce que les agents de l’autorité venaient de lire. À demi-étendu sur son lit, il restait sous le coup de la révélation extraordinaire qui était arrivée à lui dans les murs de cette prison.

Cependant, au bout de quelques instants, s’accoudant sur son lit et soutenant sa tête de la main, il regarda fixement son étrange compagnon de captivité, et lui dit d’une voix sourde :

— Vous me trompez… Pierre Augeville est mort… je l’ai vu descendre lentement sur le rivage… à i’endroit où trois saules s’élèvent sur le bord… il s’est précipité dans la Seine… Je crois le voir encore…

— Oui, dit celui auquel s’adressaient ces paroles. Après avoir perdu Marie, je ne songeais qu’à elle… possédé d’amour, de douleur, je voulais mourir pour la rejoindre… Je ne savais même plus qui avait causé sa mort… je voyais Marie devant moi, je suivais sa trace… Et je me jetai dans les eaux en regardant le ciel !

Ces mots furent prononcés d’un ton plus calme. Pierre Augeville avait exhalé en partie sa haine dévorante dans l’accomplissement de sa vengeance, dans l’aveu qu’il venait d’en faire ; il semblait plutôt maintenant se parler à lui-même avec une gravité mélancolique.

Il continua :

— Au bout de je ne sais combien de temps, je rouvris les yeux. J’étais couché dans un bateau qui glissait sous la voûte des saules penchés sur l’eau, tandis qu’une blan-