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les mendiants de la mort

dans une bouche étrangère, mais lait avec une voix août les vibrations m’allaient jusqu’à l’âme…

— Il est vrai, mon cher Gauthier, interrompit Herman… et cela dans cette prison même où vous aviez été détenu, où vous vous retrouviez alors dans une condition différente… Apprenez-moi donc ce secret de votre bizarre destinée.

— Il est bien simple, monsieur. Ma mère, comme vous le savez, périt sur l’échafaud, mais par un décret de la convention de l’an II, les orphelins laissés par les suppliciés étaient recueillis et adoptés par l’État sous le titre d’Enfants de la Patrie. Je quittai donc la prison dans le mois de novembre qui suivit la mort de ma mère, et, remis entre les mains du citoyen Ferrières, du comité de secours, je fus placé par lui dans une maison de bienfaisance.

« Mais dès que les années vinrent éclairer un peu ma raison, je m’indignai de recevoir une misérable charité de ceux qui avaient massacré mes parents et confisqué mon héritage. Je désertai cet asile odieux, et je me livrai au hasard pour le soin de pourvoir à mon existence. Avec du courage et de la persévérance, je pus vivre ; mais sans éducation et sans appui, je n’occupai jamais que des emplois subalternes : c’est ainsi que j’ai fourni ma longue carrière.

« Cependant à l’âge avancé, le travail devint plus difficile ; il se trouvait peu de conditions alors que je pusse remplir. Je ne sais par quelle fatalité… ou quelle providence on m’offrit un emploi de surveillant dans cette même prison où j’avais été enfant. Je refusai longtemps… mais je pensai à ma sœur et je me résignai. Cette pauvre petite Cocotte, qui venait autrefois à travers la grille me donner des nouvelles de ma mère… Après avoir été élevée, ainsi que moi, comme Enfant de la Patrie, s’était retirée dans un hameau près de Lorient, lieu de notre naissance… Notre rêve le plus cher était d’y finir nos jours ensemble…

« Il me fut impossible pourtant de me faire à ma situation.

« Mes répulsions pour ce triste ministère étaient aussi vives qu’à mon arrivée, le jour où ce jeune étranger vint visiter la prison… Oh ! l’âme de ma mère veillait peut-être encore sur moi… À cette même place où elle