Page:Robert - Les Mendiants de la mort, 1872.djvu/236

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
232
les mendiants de la mort

leur. Je vais avoir un tambour, une trompette et de belles marionnettes… non pas de bois, mais de vrais enfants couverts de paillettes… Je me fais chef de troupe.

— Moi, dit Jean-Marie, je vais placer mon argent à la caisse d’épargne ; cela me fera vingt-cinq sous de rente par jour, en continuant de demander mon pain.

Le nègre Jupiter saute sur un banc, et dit en saluant la compagnie avec son bonnet noir :

— Vous autres, il faut dire adieu à Jupiter. Moi avoir de l’argent pour voyager, moi m’en aller du vilain pays où on a rompu les os à moi, et où il pleut toujours.

Puis en sortant du hangar, il tourne la tête et dit encore :

— Moi va conter mes aventures de Paris aux frères de la Cafrerie, sur le bord de l’Orange.

— Va au diable, Jupiter, dit la compagnie en lui rendant son salut.

Pierrot fait aussi ses adieux.

— Mes anciens camarades, dit-il, vous êtes tout de même de bons enfants, vous serez bien aises de savoir que votre Pierrot va prospérer ; j’ai donné la volée à tous mes moineaux et à mes pinsons, et demain, au point du jour, je vais dans les Grandes-Indes acheter des perroquets, des papegais, des bengalis, des colibris.

— Aux Grandes-Indes ! c’est loin.

— Je ne sais pas. Un négociant paie mon voyage, attendu que je lui tiendrai ses livres de comptes en route… Ainsi, avec mon argent de ce soir, je vais acheter les plus beaux plumages des Indes… Je me fais marchand d’oiseaux en grand.

— Bon voyage et bonne fortune, mon garçon ! crie-t-on à Pierrot qui s’éloigne.

— Moi, mes amis, dit Corbillard en tendant galamment la main à mademoiselle Rose, maintenant devenue madame Corbillard, je reste comme je suis. Prions Dieu, ajoute le vieux philosophe, que l’argent que nous venons d’acquérir nous laisse aussi heureux que nous l’étions dans l’indigence : c’est tout ce qu’on peut demander à la fortune !

Après ces adieux, chacun reprit son chemin dans les champs.

Robinette s’en allait avec sa tante Rose, qui, selon les paroles de l’Écriture, avait pardonné à la brebis revenue au bercail. Mais après quelques pas, la jolie bohémienne,