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les mendiants de la mort

pérance ; dans ce moment décisif, il voulut fixer son sort tout entier.

— M’aimes-tu toujours ? demanda-t-il.

— Toujours.

— Malgré tout… tout ! tu entends ?

— Oui, malgré tout… Je t’aime d’un amour passionné, puissant comme ma vie. Après s’être montré heureux et fier pendant notre union, cet amour est resté caché en moi quand l’honneur, quand la dignité le commandaient. Oh ! bien profondément caché, car j’ai eu le courage de le taire à toi-même… C’était là mon secret, le culte mystérieux auquel je vouais mon âme… Va, il y a quelque chose de divin dans la foi jurée ; l’amour d’une femme ne s’éteint pas comme un autre. Dans ces jours de solitude, de réclusion, t’aimer, souffrir pour toi était toute mon existence. Si j’ai été malheureuse alors, ou si la tendresse, à mesure que je l’éprouvai, me payait de toutes mes peines, je ne m’en souviens plus, j’ai dû l’oublier bien vite, car le malheur va fondre sur toi ! Oh ! alors tout a changé : cette passion insensée dans sa puissance inutile a pu devenir tout à coup devoir, dévouement, j’ai pu mettre toutes mes forces à la servir… J’ai volé à ton secours. Le ciel a voulu que ce ne fût pas en vain !

Dans ces moments suprêmes, la faculté de sentir, de comprendre s’exhale à ce point qu’un mot révèle la vie entière, qu’une étincelle éclaire un abîme. Herman voyait alors tout ce qui, depuis leur séparation, s’était passé dans l’âme de Valentine. Il était incliné devant elle et baignait ses mains de larmes.

— Aveugle ! dit-elle, tu n’as pas reconnu que c’était moi qui traversais la prison pour y chercher le chemin de ta délivrance… Moi encore qui, dans ce voyage bienheureux, me servais des ombres de la nuit pour veiller sur toi, pour t’amener à la liberté…

— Pour m’amener à tes genoux ! dit Herman.

Puis, payant encore un tribut à sa fatale destinée, il ajouta en frémissant :

— Oui, à tes genoux, idolâtre d’amour… Mais, mon Dieu ! toujours coupable, déshonoré !

— Non, dit-elle… Je me suis tant repentie pour toi !… Dieu nous a pardonné ! Écoute : cette partie de ma fortune que j’ai conservée, augmentée par toutes sortes de soins, de privations, elle est placée dans le Nouveau-Monde.