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les mendiants de la mort

Herman a passé de l’excès de l’abattement à une ardente surexcitation d’existence ; toutes les effrayantes chimères, tous les pâles fantômes de cette enceinte sinistre se sont évanouis, il ressaisit la réalité de la vie et sous sa forme la plus séduisante, sous l’aspect de la jeunesse, de la beauté, étincelante de pleurs de joie !… Étourdi, égaré, la tête perdue, il retient la jolie courtisane entre ses bras, reçoit les baisers de ses lèvres rouges et embaumées, la serre sur son cœur pour le réchauffer encore, pour le préserver à jamais de ces affreuses atteintes de la mort.

— C’est toi, ma folle enfant ! dit-il enfin ; certes, je suis étonné…

— Il ne s’agit pas seulement d’être étonné, monsieur, il faut encore être enchanté, très-enchanté de me voir.

Robinetle, en disant cela, se dégage de ses bras et se pose avec coquetterie devant lui.

— Mais comment êtes-vous ici ? demande Herman.

— Ce n’est pas difficile… je savais qu’on dînait aujourd’hui à la campagne. Je ne savais pas si c’était ici ou chez les messieurs de Sabran ; mais c’est égal, j’ai dit j’en suis, et me voilà

— Ma chère amie, je ne comprends pas un mot.

— Mais si fait, reprend Robinette. Eugène de Sabran est monté cette après-midi chez moi, et m’a dit : je vais passer la soirée à la campagne, chez mon frère… Il fait très-beau. C’est vrai, il faisait beau dans ce moment-là… vers quatre heures… Et il a ajouté : Je voulais emmener Herman avec moi ; j’ai justement rencontré son cocher qui venait de le conduire au Bas-Meudon, à deux pas des Moulineaux… Nous le retrouverons là-bas, et nous dînerons ensemble chez lui ou chez mon frère, qui a reçu des faisans dorés de ses terres. Je vais avec vous, ai-je dit tout de suite ; Eugène, prenez-moi dans votre voiture. Le temps de jeter un mantelet sur mon dos, et nous voilà partis.

— Partie, bien, mais non pas arrivée, non pas cachée dans cette alcôve.

— Ah ! voilà où est la surprise. J’ai dit à Eugène de me conduire à votre porte, et que tandis qu’il irait aux Moulineaux, je vous instruirais du dîner projeté. La porte de cette maison était ouverte… N’importe, je sonne un coup, deux coups, personne ne vient… J’apercevais bien au rez-de chaussée deux espèces de domestiques, mais si lents, si lourds ! Il y en aurait eu pour une heure avant