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les mendiants de la mort

troublera pas plus la pureté de votre vie dans l’avenir que par le passé.

— Il est vrai, cela suffit.

— Vous serez d’ailleurs seule arbitre de la place que je dois prendre près de vous ; habitant sous le même toit si vous le voulez, me tenant éloigné si les convenances ou le besoin de solitude vous le font désirer, me soumettant même à des absences complètes lorsque vous l’exigerez. Je n’aurai d’autre désir que de vous satisfaire en cela : puisque nos relations seront un point de votre existence, il faut que la douceur n’en soit pas troublée. Mais je serai toujours près de vous quand vous aurez un site, un monument, une beauté de la nature à visiter, afin que vous n’admiriez pas seule. Je serai près de vous dans ces heures de tristesse qui se lèvent d’un sombre passé… enfin, toutes les fois que vous aurez besoin du bras d’un ami pour vous appuyer.

— Je connais déjà ce soutien ; il est sûr et bienfaisant.

— J’ai peu de fortune ; mais ces biens, qui serviront à vous donner les douceurs de l’existence, me seront si précieux, je les distribuerai avec tant de soin et de réserve, qu’ils se multiplieront comme le grain dans les sillons du véritable croyant.

Tout cela était entendu d’Herman, qui souffrait le martyre de la jalousie dans la situation la plus désespérante, car c’était à la femme sur laquelle il avait des droits qu’on osait parler ainsi. La générosité, la délicatesse de Léon étaient de sanglants reproches pour lui ; plus Léon se montrait grand et digne envers Valentine, plus il lui vouait d’exécration… Oh ! dans ce soir marqué par un premier moment de bonheur et par cette déception amère, espoir, souffrance, tout se réunissait pour lui montrer combien il aimait Valentine, pour lui prouver combien il était malheureux !

— Mon cher Léon, répondit Valentine, vos offres viennent du meilleur, du plus noble cœur d’ami qui ait jamais existé… Et pourtant j’hésite encore dans ma reconnaissance… je crains…

— Alors, parlez-moi de vos craintes.

— Je crois au dévouement de l’amitié plus que personne au monde ; je crois un caractère comme le vôtre capable des plus admirables sacrifices… et pourtant… que vous dirai-je… il ne me semble pas naturel qu’un homme de votre âge quitte la France et tous les liens qui l’y atta-