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les mendiants de la mort

date de loin, et le sentiment mal compris change l’aspect de tout ce qui doit suivre.

— D’abord, vous savez que je comprends tout, répondit-elle d’un air de vanité enjouée. Ensuite, je connais parfaitement votre caractère, et, d’après cela, je pourrai donner de moi-même l’explication convenable de vos paroles.

— Eh bien, écoutez-moi, Valentine… Vous êtes seule, triste, dénuée de tout bonheur dans la situation maintenant la plus obscure…

— Je n’admets pas tout cela complètement, interrompit-elle ; mais passons.

— Votre existence si belle a été subitement effeuillée par un coup de vent : fortune, bonheur, confiance en la vie, tout est tombé à la fois. Ce n’est pas ici que votre destinée peut renaître, ce qu’avaient à vous donner la première jeunesse, la famille, l’amour et le monde, est anéanti et ne peut plus revenir. Il faut, pour que cette existence se ranime, la transporter dans un pays étranger, où vous trouviez des sentiments, des intérêts nouveaux et l’influence vivifiante d’une nouvelle atmosphère.

— C’est vous, Léon, qui m’engageriez à partir !…

— Je suis libre, possesseur d’une fortune bornée, mais indépendante ; je ne vous dis point partez, éloignez-vous, mais partons ensemble ; allons sous un autre climat où le souvenir de vos peines s’effacera avec l’éloignement des lieux où vous avez souffert, où vous retrouverez du moins des jours calmes et remplis s’ils ne sont aussi brillants, aussi heureux que par le passé.

— C’est bien ; et où allons-nous ainsi ? demanda-t-elle en souriant.

— Vous le direz au postillon, quand la voiture de voyage sera à votre porte.

— Suisse, Écosse, Italie, tout lieu vous est égal ?

— Non… je préférerai celui que vous aurez choisi.

— Voici un mot d’affection, mon ami ! Vous parlez donc sérieusement ?

— On ne peut plus, Valentine ; cette détermination, redoutable pour toute autre femme, ne peut l’être pour vous. Peu vous importent les apparences, vous ne jugez que la réalité. Si vous quittez la France avec un homme qui malheureusement n’a pas de titre légitime près de vous, la culpabilité de convention qui s’attache à cette conduite vous est indifférente : vous savez que je serai votre ami là-bas comme ici, que ma présence près de vous