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Page:Robert Brasillach - Le Procès de Jeanne d'Arc (1941).djvu/19

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POUR UNE MÉDITATION
SUR LA RAISON DE JEANNE D’ARC


Le plus émouvant et le plus pur chef-d’œuvre de la langue française n’a pas été écrit par un homme de lettres. Il est né de la collaboration abominable et douloureuse d’une jeune fille de dix-neuf ans, visitée par les anges, et de quelques prêtres mués, pour l’occasion, en tortionnaires. Des notaires peureux ont écrit sous la dictée, et c’est ainsi qu’a pu nous parvenir ce prodigieux dialogue entre la Sainteté, la Cruauté et la Lâcheté, qui réalise et incarne enfin, en les laissant loin derrière lui, tous les dialogues imaginaires qu’avait produit le génie allégorique du Moyen Âge.

Même cachées sous un latin transparent, qui n’a plus guère de latin que le nom, et semble une variété méridionale du français, un chantant français d’oc à déclinaisons, la force et la beauté de ce texte incomparable saisissent le cœur. Mais laissons de côté le latin, allons à ce qui nous reste de l’interrogatoire français, qui est considérable, cherchons dans le vieil anonyme qui traduisit le procès pour le roi Louis XII, n’est-ce pas aussitôt le suc, la saveur inoubliable, cette langue forte et douce, dont Joinville seul, pensions-nous, possédait le secret ? Tant d’années après lui, le monde était encore assez près des sources pures de la langue, assez près de l’esprit des Miracles de Notre-Dame et des Croisades, qu’on allait bientôt oublier, pour que la sainteté se permît encore cette étonnante alliance avec la beauté. Car il nous faut bien répéter ce que pensait Péguy : à côté des mots les plus simples de Jeanne, les saints les plus illustres semblent des bavards,