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Le Vingtième Siècle

nous serons mariés, lorsque nous aurons à nous disputer, nous prendrons aussi des phonographes ?

— C’est entendu, » répondit Estelle en riant.

Estelle, ayant trouvé le document qu’elle cherchait, laissait la pièce consacrée aux scènes de ménage et regagnait le hall du secrétariat. « Ma chère Estelle, lui dit Georges, vous venez de voir une des plus heureuses applications du phonographe ; il y en a d’autres encore : ainsi, ma mère a pu me faire entendre le premier cri jeté par moi à mon arrivée sur cette terre et recueilli phonographiquement par mon père… Ainsi nous avons le premier vagissement de l’enfant surpris à la naissance en cliché phonographique, de même que nous pouvons garder de la même façon, pour les réentendre toujours, à volonté, les derniers mots d’un parent, les dernières recommandations d’un ancêtre à son lit de mort… Le hasard m’a mis, ces jours-ci, à même d’apprécier une autre application toute différente, mais aussi heureuse… Il faut que je vous conte cela… Vous savez que notre ami Sulfatin, l’homme de bronze, nous donnait, depuis quelque temps, des inquiétudes par ses surprenantes distractions ? J’ai la clef du mystère, je connais la cause de ces distractions : Sulfatin se dérange tout simplement ; la science n’a plus son cœur tout entier !

— En Bretagne, déjà, M. La Héronnière s’en était aperçu.

— Mais c’est bien autre chose, maintenant ! Figurez-vous que, l’autre jour, j’allais entrer, pour un renseignement à demander, dans le petit bureau spécial où Sulfatin s’enferme pour méditer quand il a quelque grosse difficulté à vaincre, lorsque j’entendis une voix de femme qui disait : « Mon Sulfatin, je t’adore et n’adorerai jamais que toi !… » Jugez de mon effarement ! Par la porte entre-bâillée, ma foi, je risquai un coup d’œil indiscret et je ne vis pas de dame : c’était un phonographe qui parlait sur la table de travail de Sulfatin.

— Et vous vous êtes sauvé ?

— Non, je suis entré. Sulfatin, comme réveillé en sursaut, a bien vite arrêté son phonographe et m’a dit gravement : « Encore l’Académie des sciences de Chicago qui me communique quelques objections relatives à nos dernières applications de l’électricité… Ces savants américains sont des ânes ! » Vous pensez si j’ai dû me retenir pour garder mon sérieux ; ils ont une jolie voix, ses savants américains ! Eh bien ! nous allons rire un peu, si vous voulez me suivre jusqu’au cabinet de Sulfatin ; je crois que je lui ai préparé une petite surprise…