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Le Vingtième Siècle

voici quelques-uns oubliés encore ; la nuit a été fraîche, tous nos phonogrammes sont enrhumés, tous nos clichés perdus !

— Animal de Sulfatin ! s’écria Philox Lorris, voilà mon concert gâché ! C’est stupide ! Ma soirée sombre dans le ridicule ! Toute la presse va raconter notre mésaventure ! La maison Philox Lorris ne manque pas d’ennemis, ils vont s’esclaffer… Que faire ?…

— Si j’osais… fit Estelle, avec timidité.

— Quoi ? osez ! dépêchez-vous !

— Eh bien ! M. Georges a pris en double, pour me les offrir, les clichés de quelques-uns des meilleurs morceaux du programme, ceux que j’ai essayés hier… Je cours les chercher, ceux-là n’ont pas passé par les mains de M. Sulfatin, ils sont certainement parfaits…

— Courez, petite, courez ! vous me sauvez la vie ! s’écria M.  Philox Lorris. Oh ! la musique ! bruit prétentieux, tintamarre absurde ! comme j’ai raison de me défier de toi ! Si l’on me reprend jamais à donner des concerts, je veux être écorché vif ! »

Il retourna bien vite au grand salon et fit toutes ses excuses à ses invités, rejetant la faute sur l’erreur d’un aide de laboratoire ; puis, Estelle étant arrivée avec ses clichés particuliers, il la pria de se charger elle-même de les faire passer au téléphonoscope.

Estelle avait raison, ses clichés étaient excellents, la Patti n’était pas enrhumée, Faure n’avait aucun enrouement, chanteurs et cantatrices pouvaient donner toute l’ampleur de leur voix et faire résonner magnifiquement les sublimes harmonies des maîtres. À chaque diva célèbre, à chaque ténor illustre qui paraissait dans le Télé, un frisson de plaisir secouait les rangs des invités et des dames s’évanouissaient presque dans leurs fauteuils.

Encore une fois, Sulfatin avait eu une distraction, lui qui n’en avait jamais. Pour un homme d’un nouveau modèle, inédit et perfectionné, à l’abri de toutes les imperfections que nous lèguent nos ancêtres en nous lançant sur la terre, il faut avouer que le secrétaire de Philox Lorris baissait considérablement ; à tout prendre, l’aïeul artiste de son fils Georges faisait moins de dommages dans la cervelle de ce dernier : la formule chimique d’où l’on avait fait éclore Sulfatin n’était sans doute pas encore assez parfaite. Philox Lorris, absolument furieux, se promit d’adresser une verte semonce à son secrétaire.