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Le Vingtième Siècle

ayant déjà eu plusieurs fois, depuis la tournade, l’occasion de causer avec elle.

« Madame, fit-il, je voyais Mlle Estelle si désolée de son échec, j’essayais de la consoler, et la vive amitié que j’ai conçue pour elle depuis l’heureux hasard… Enfin, elle pleurait, elle se lamentait, et je ne pouvais voir couler ses larmes sans…

— Je vous suis très obligée, dit sèchement Mme Lacombe, nous avons subi un petit échec, nous travaillerons et nous nous représenterons, voilà tout… Je me charge de consoler ma fille moi-même… Monsieur, je vous présente mes civilités…

— Madame ! s’écria Georges Lorris, je vous en conjure, ne vous fâchez pas… Un seul mot, je vous prie… j’ai l’honneur de vous demander la main de Mlle Estelle !

— La main d’Estelle ! s’écria Mme Lacombe en se laissant tomber dans un fauteuil.

— Si vous voulez bien me l’accorder, ajouta le jeune homme, et si Mlle Estelle ne… Excusez le manque de formes de ma demande, ce sont les circonstances… le chagrin de Mlle Estelle m’a tout à fait troublé. Je vous en prie, Estelle, ne me découragez pas…

— Monsieur, fit Mme Lacombe avec dignité, je ferai part de votre demande si honorable pour nous à mon mari, et M. Lacombe vous fera connaître sa réponse ; quant à moi, je ne puis que vous dire que mon vote vous est acquis… et il compte ! »

On voit, à cette brusque demande en mariage, que Georges Lorris était un homme de décision rapide. Il ne ressentait, une heure auparavant, aucune velléité matrimoniale précise. Il trouvait depuis quelque temps un vrai plaisir à ces entrevues téléphonoscopiques avec la jeune étudiante, sans chercher à se rendre compte des sentiments qui lui en faisaient trouver l’habitude si douce. La vue des larmes d’Estelle lui avait subitement révélé l’état de son cœur, et, sans hésiter, il avait pris la résolution, de lier sa vie à la sienne. Il avait vingt-sept ans, il était libre de ses actes et il était plus que suffisamment riche pour deux.

Il ne se dissimulait pas que des difficultés pouvaient se présenter du côté de sa famille à lui. Son père avait d’autres idées. Précisément, le jour de la tournade, Philox Lorris lui avait développé son plan matrimonial : trouver une doctoresse pourvue des plus hauts diplômes, une vraie cervelle scientifique, une femme sérieuse et assez mûre pour avoir la tête