Page:Robida - Le vingtième siècle, 1883.djvu/115

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core montrée digne, aujourd’hui, des éloges que vous lui prodiguez !

Gontran de Saint-Ponto frappa sur un timbre ; immédiatement un domestique parut.

— Eh bien, et ce potage ? demanda Gontran.

— Pas arrivé, monsieur, dit le domestique d’un air surpris.

— Comment ! fit Gontran, pas arrivé ? il est sept heures et deux minutes… le potage arrive régulièrement tous les jours à sept heures précises…

— J’ai tourné le robinet et rien n’est venu.

— C’est étonnant ! c’est la première fois qu’un retard se produit…

— Vous avancez peut-être, dit Ponto, ou bien il sera survenu quelque accident aux chaudières… attendons quelques minutes. À propos, avez-vous jamais visité l’usine de la Grande Compagnie d’alimentation ? c’est une des curiosités de Paris… Vous connaissez le Creusot ? Eh bien, c’est plus imposant ! Les hauts fourneaux rôtisseurs qui font rôtir 20,000 poulets en même temps, ont été admirablement montés par des ingénieurs du plus haut mérite… C’est un spectacle effrayant… Nous avons aussi deux grandes marmites de briques et fonte, contenant chacune cinquante mille litres de bouillon ! ces deux récipients sont sous la direction spéciale d’un ingénieur mécanicien qui reçoit des appointements de ministre ! Vous comprenez l’immense responsabilité qui lui incombe. Une simple petite négligence d’une minute, quand les marmites sont en pression, et toute l’usine saute ! et les rues environnantes reçoivent un véritable déluge de bouillon brûlant…. cent mille litres !

— C’est effrayant ! fit Mme Gontran en frissonnant.

— Je ne vous parle pas des hachoirs a vapeur pour la fabrication de la julienne, ni du marteau-pilon pour les purées…

— Ah ! je vous arrête à votre marteau-pilon, s’écria Gontran, voilà précisément une des raisons pour lesquelles je ne me suis pas abonné à votre Grande Compagnie… Vous vous rappelez l’affaire de ce cuisinier qui a été mis en purée comme ses légumes avec votre marteau-pilon ?

— Parfaitement… mais c’était un suicide.

— Oui, mais on ne s’est aperçu de l’accident qu’après le dîner… vos abonnés ont dégusté votre cuisinier…

— Si les journaux n’avaient pas sottement ébruité l’affaire, on ne s’en serait pas aperçu ! La preuve c’est que le bureau de dégustation, qui goûte tous les plats avant de leur délivrer le laissez-passer, n’avait trouvé à la