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l’accusé une physionomie d’abruti féroce, reprenaient leurs esquisses et faisaient de Jupille un criminel à l’œil sentimental et intéressant.

Jupille se frottait les mains et faisait des signes joyeux à M11e Malicorne.

Quand Hélène, épuisée, se tut après une péroraison qui avait arraché des larmes à tout l’auditoire, toutes les avocates se portèrent à son banc pour la féliciter.

— Je salue une future gloire du barreau !

— Plus attendrissante que M11e Lachaud elle-même ! je vous fais mon compliment.

— M11e Malicorne, votre élève a un bel avenir devant elle ! les jurés ne lui résisteront jamais !

— Une émotion contagieuse au plus haut degré !

— De vraies larmes !

— Hein ? fit Jupille ; n’est-ce pas que j’ai du flair ? j’avais vu du premier coup que la petite ferait de l’effet ! j’en suis encore tout émotionné !… Dommage que ma pauvre tante n’ait pas pu l’entendre, elle qui n’avait que des choses désagréables à me dire !… »

Le ministère public tenta de prendre sa revanche dans une longue réplique qui fut écoutée au milieu d’un bâillement général, puis le jury se retira dans la salle des délibérations. On attendait l’arrêt avec une impatience fébrile ; enfin la cour rentra et le président donna lecture de la sentence.

L’infortuné Jupille, reconnu coupable d’homicide par contrariété, avec admission de circonstances atténuantes, était condamné à quinze mois de retraite. Il avait deux jours pour se pourvoir en cassation ou pour se décider sur le choix de la région qu’il lui convenait d’habiter.

« Merci ! dit le criminel en saluant la cour, l’air du Midi serait contraire à ma santé, je préfère les environs de Paris. »

Et il tendit la main à Hélène qui se recula avec horreur.

« Vous m’en voulez ? fit Jupille étonné, vous qui me disiez des douceurs tout à l’heure ; mais puisque je paye ma dette à la société, personne n’a plus rien à me dire !… Enfin, comme vous voudrez, je vous remercie tout de même du fond du cœur, là, en ami ! J’espère que vous viendrez me voir à la maison de retraite. »