Page:Robida - Le vingtième siècle, 1883.djvu/163

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— Ma chère Hélène, je vous présente M. Zéphyrin Rouquayrol, le député leading de la gauche, un des plus redoutables adversaires du gouvernement…

— Un peu mollasse ! dit un monsieur assez mal mis derrière le député.

— Et qui sera gouvernement lui-même avant peu, reprit le banquier.

— On ouvrira l’œil, alors ! continua le même monsieur. »

Le député, après avoir présenté ses compliments à. Mme Ponto ainsi qu’à M11es Ponto, qui causaient finances dans un coin avec des banquiers de Vienne et de Berlin, s’assit près d’Hélène et se remit à la complimenter.

— Oui ! mademoiselle, je vous ai entendue l’autre jour dans l’affaire Jupille et j’ai été fort émotionné… Je ne vous cache pas que j’avais des préventions contre cet infortuné Jupille, mais la puissance de vos arguments m’a ouvert les yeux… tout le monde était contre lui, le tribunal, l’auditoire et les jurés. Quelle éloquence il vous a fallu déployer pour convaincre les esprits prévenus et faire admettre comme chef d’accusation le simple homicide par contrariété ! Je suis encore sous le charme…

— Permettez ! fit l’opiniâtre interrupteur du député en avançant un siège entre Hélène et M. Rouquayrol et en s’asseyant sans façon.

— Oui, mademoiselle, continua le député, rien qu’en paraissant à la barre… votre seul aspect a fait battre tous les cœurs… vos beaux yeux…

— Des fadeurs ! glissa l’interrupteur en s’interposant entre les causeurs.

— Vos beaux yeux noyés de larmes, continua M. Rouquayrol, ont ému jusqu’au ministère public !

— Monsieur ! fit Hélène embarrassée.

— Et les beaux gestes ! reprit M. Rouquayrol, vous avez une main de déesse, mademoiselle ! c’est précieux pour une avocate, une main élégante et fine sortant des plis de la toge pour frapper sur la barre ou levée tremblante, au moment suprême, pour faire valoir une péroraison et éblouir les jurés… Celui à qui vous l’accorderez un jour sera bien heureux !

— Hum ! hum ! hum ! fit l’interrupteur comme pris d’un accès de toux. »

Hélène rougit, de plus en plus embarrassée.

Heureusement Mme Ponto survenant la dispensa de répondre.

« Eh bien, mon cher député, vous étiez à l’audience, l’autre jour ? Retenue au sein de mon comité électoral je n’ai pu assister aux débuts oratoires de ma chère pupille et j’avoue que je ne m’attendais pas à une réus-