Page:Robida - Le vingtième siècle, 1883.djvu/175

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Mlle Malicorne, la grande avocate, ne désespérait pas pourtant pour son client. Nous l’avons déjà dit, plus la cause était mauvaise et plus elle se sentait inspirée, ce qui est le propre des grands avocats.

Ce jour-là, après l’affaire Jupille et le triomphe de sa secrétaire, elle n’était pas fâchée de montrer qu’elle était toujours l’avocate éloquente qui triomphait des jurés les plus granitiques, la providence des malheureux assassins abandonnés. Tous les amateurs de beau langage et de grande éloquence furent satisfaits : Mlle Malicorne plaida pendant six heures avec le style et la verve de ses beaux jours.

Le jury fut retourné comme un gant, l’opinion publique virée radicalement à l’inverse du point où elle était la veille. — Hélène n’avait obtenu pour le trop infortuné Jupille que les circonstances atténuantes et excusantes ; sa patronne, Mlle Malicorne, enleva un acquittement.

Au bruit des applaudissements arrachés à toutes les âmes sensibles de l’auditoire et même à celles plus racornies de vieux juges qui, dans le cours de leur vie, avaient distribué chacun dix ou douze mille années de prison à plusieurs générations de malfaiteurs, le client de Mlle Malicorne fut élargi.

Ses premiers mots, quand les gendarmes lui eurent retiré les menottes qui déshonoraient ses mains, excitèrent une émotion générale.

— Mademoiselle Malicorne ! dit-il avec solennité, après les malheurs de mon premier ménage, je m’étais juré de rester célibataire, mais votre superbe plaidoyer m’a donné à réfléchir… le bonheur peut encore luire pour moi en ce bas monde…

— Sans doute, répondit Mlle Malicorne.

— Vous êtes la femme qu’il me fallait…

— C’est le plus bel éloge que j’aie recueilli dans tout le cours de ma carrière… j’y suis très sensible…

— Mademoiselle Malicorne, voulez-vous accepter ma main ? … Vous me comprenez si bien, vous avez si bien saisi mon caractère… pas de danger d’incompatibilité avec vous…

— Cessez cette plaisanterie ! s’écria Mlle Malicorne, tournant brusquement le dos à son client et mettant ses dossiers sous son bras pour s’en aller.

— Vous refusez ! s’écria l’acquitté, est-ce possible ? … après tout le bien que vous avez dit de moi… Voyons… je comprends tout ce que cette demande présentée à l’improviste a d’irrégulier… je suis trop homme du monde pour insister aujourd’hui… j’aurai l’honneur de vous revoir… »