Page:Robida - Le vingtième siècle, 1883.djvu/203

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— Je comprends, dit Hélène.

— Je rappellerai aux élèves, reprit le professeur, que la question doit se traiter au point de vue du député en tournée et au point de vue du sous-préfet. Ce dernier point de vue est naturellement tout à fait gouvernemental, je n’ai pas besoin de le dire. En ce qui concerne le point de vue du député, il faut distinguer si le député est gouvernemental et conservateur ou opposant. Les discours du sous-préfet et du député gouvernemental doivent rouler surtout sur le calme des champs, sur les progrès de l’agriculture, sur la prospérité des races bovine, ovine et porcine, avec quelques fleurs poétiques çà et là, bien entendu ; mais le discours du député opposant me semble devoir être d’un caractère différent. Voyons, messieurs, je vous le demande, avez-vous quelque idée sur le discours du député opposant ? »

Un élève du premier rang leva la main.

« — Expliquez votre idée, dit le professeur.

— Voici ce que le député opposant doit dire, il me semble, répondit l’élève en assurant sa voix : — Hum… hum… Permettez-moi de témoigner ici hautement de mon admiration pour les progrès immenses accomplis par l’agriculture française, cette nourricière de la patrie, cette féconde agriculture si peu favorisée, si négligée par nos gouvernants…

— Un peu plus d’amertume dans le débit, glissa le professeur, appuyez plus fortement sur les torts du gouvernement.

— Si abandonnée, que dis-je ? si pressurée par les tarifs fiscaux…

— Très bien trouvé, les tarifs fiscaux !

— … Laissez-moi m’étendre, reprit l’élève, sur mon admiration pour les remarquables produits exposés par les éleveurs de notre beau département. Mon cœur se gonfle d’un orgueil patriotique quand je contemple la belle paire de vaches durham du poids de 1,500 kilos chacune, à laquelle le jury a décerné le premier prix avec une unanimité qui l’honore et je me dis qu’il y a encore, dans notre patrie, de beaux jours pour l’élevage des bestiaux et que, malgré la tristesse jetée dans tous les cœurs par les agissements des hommes néfastes qui tiennent le pouvoir, la race bovine ne périclitera pas, que la race ovine se maintiendra et qu’enfin la race porcine, l’honneur du département, la gloire la plus pure de notre région, gagnera encore, s’il est possible, en santé, en poids et en beauté ! Ces hommes politiques, ces ministres éphémères passeront ; mais la race bovine ne passera pas !

— Tout à fait bien ! dit le professeur, c’est ce qu’il faut dire. J’espère