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chercheur acharné de documents inédits, fureteur de vieilles archives. Félicien Cadoul lui-même devait, ce jour-là, entretenir l’Académie de ses découvertes nouvelles, développer des théories et répondre aux contradicteurs s’il s’en présentait. L’empressement du Paris intelligent à se rendre à la séance Cadoul montrait que l’école historique nouvelle possédait la faveur du public. On le vit mieux encore lorsque Félicien Cadoul, quittant son fauteuil académique, se dirigea vers la tribune.

Félicien Cadoul, quoique académicien depuis de longues années, est encore jeune. C’est un homme d’environ quarante ans, qui porte haut une tête au vaste front découvert par une calvitie due moins aux ravages des ans, qu’aux veilles pénibles sur les documents, aux travaux acharnés qui ont bouleversé le champ de l’histoire, effondré tant d’antiques erreurs et révélé au monde des vérités longtemps ensevelies sous la poussière des siècles.

En arrivant à la tribune, le grand historien inclina la tête pour remercier ses collègues et le public de leurs marques de sympathie et déposa un énorme dossier composé de larges cahiers attachés par une bretelle rouge. Deux huissiers, qui le suivaient chargés de livres, lui tendirent leur chargement qu’il rangea volume à volume devant lui ; puis il se versa tranquillement un verre d’eau, y mit du sucre, remua et ingurgita ensuite avec lenteur.

« Mesdames et messieurs, prononça-t-il avec solennité, j’ai raconté dans la préface de mon histoire de France comment j’avais été amené à entreprendre mon grand travail de réfutation historique, je ne le répéterai pas, mais je vous dirai ceci : Prenez un événement contemporain quelconque, un événement bien simple, qui se soit passé en pleine lumière, aux yeux de tous, et vous allez voir cet événement raconté en cent versions différentes, grandi, grossi, amplifié, agrémenté de détails, enjolivé, dramatisé, poétisé, auréolisé ou diminué, rapetissé, remanié ou bien tout à fait nié par les gens mêmes qui en ont été les témoins ! Pour les événements contemporains, nous traitons tous ces racontars de cancans ; dans le domaine du passé, ces cancans s’intitulent orgueilleusement l’histoire !

« Ceci étant reconnu, comment admettre comme vérité tout ce que nous rapportent les historiens sur les choses du passé ? Comment, lorsque la lumière est si difficile à faire sur un événement contemporain, avec les dépositions des témoins, comment croire, sur les événements des siècles écoulés, des historiens qui n’ont pas été les témoins de ces événements et qui jusqu’ici n’ont fait que se répéter les uns les autres ?