Page:Robida - Le vingtième siècle, 1883.djvu/286

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dant un an ou deux du drame à leur public, il leur faut changer le menu et donner de l’opéra-comique.

Et toujours ils doivent compter avec la mode, déesse capricieuse. Un théâtre est à la mode pendant deux ou trois saisons, et tout à coup, sans autre motif qu’un virement de girouette, la mode l’abandonne. Il lui faut alors se transformer, changer son genre, renouveler son personnel et trouver des attractions inédites — on voit le Quatrième-Opéra ou le Troisième-Théâtre-Lyrique congédier les musiciens et donner des pantomimes américaines ou des tragédies cornéliennes pendant qu’un restaurant-concert renvoie ses chanteuses ultra-légères pour se vouer à la grande musique, aux oratorios et aux symphonies.

Phèdre arrangée.
Phèdre arrangée.

Tous les soirs donc il y avait au moins trois ou quatre premières importantes. Hélène devait passer sa soirée à voler de théâtre en théâtre pour noter les toilettes à sensation et signaler aux abonnés de l’Époque les créations des grands couturiers, ces artistes surhumains que les cinq parties du monde envient à la capitale de la France.

M. Ponto ou Mme Ponto accompagnaient rarement leur pupille. Le temps n’est plus où les jeunes filles ne pouvaient sortir sans être tenues en laisse par un respectable chaperon ; l’émancipation de la femme a fait justice de cette quasi-turquerie ; les jeunes filles d’à présent sont des citoyennes, elles savent se faire respecter partout et toujours.

De temps en temps, quand elle était ennuyée de sortir, Hélène restait au coin du feu et faisait son devoir de courriériste en assistant aux premières du jour par l’intermédiaire du téléphonoscope de son tuteur.

L’Époque n’était pas moins bien renseignée ces jours-là, car son tuteur était là pour lui nommer les célébrités mondaines éparpillées dans les salles de théâtre et pour la mettre au courant des racontars du jour. Mme Ponto, esprit sérieux, préoccupé surtout de politique et de questions sociales, ne disait pas grand’chose ; mais M. Ponto était terrible dans ses