Page:Robida - Le vingtième siècle, 1883.djvu/287

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

indiscrétions. Hélène tremblait toujours, en prenant ses notes, de donner sujet à de nouvelles réclamations, rectifications et provocations.

Hélène parvint ainsi, à force de soins et de minutieuses précautions, à la fin de son premier trimestre de journalisme sans une querelle et sans avoir soulevé d’autres réclamations que celles des couturiers, qui se plaignaient d’une certaine monotonie dans les louanges dont elle couvrait leurs créations, monotonie qui tournait presque à la froideur.

Pour les satisfaire, Hélène se livra dans le dictionnaire à de fatigantes recherches d’adjectifs flatteurs et d’épithètes agréables ; elle inventa des tours de phrases ingénieux et fit de toutes ses trouvailles un petit cahier où elle n’eut qu’à puiser au fur et à mesure.

Les femmes d’Abd-el-Razibus avaient été engagées pour l’Odéon par l’actif correspondant de l’Époque. Ce courageux journaliste, amputé du bras droit, avait composé en douze jours, à l’ambulance même, la pièce à grand spectacle commandée par le directeur du deuxième Théâtre-Français.

Inutile de dire le colossal succès de cette pantomime militaire. Ce succès était devenu du délire quand l’auteur lui-même, de retour à Paris, avait consenti à figurer, dans sa pièce, dans le rôle du correspondant blessé.

Pour lutter contre la concurrence de l’Odéon, le Théâtre-Français se vit obligé de renouveler son affiche et d’engager avec des appointements fabuleux, d’abord, une troupe nègre pour jouer le répertoire et ensuite une femme colosse qui avait fait courir tout Paris au Cirque où, entre autres exercices, elle récitait des tirades de Racine avec un canon du poids de 250 kilog. sur les épaules. Tout en déclamant comme un grand prix du Conservatoire, elle chargeait son canon, allumait une mèche et à la fin de la tirade mettait le feu à l’amorce.

Paris et la province, jusque dans les villages les plus reculés, furent couverts d’affiches et de réclames flamboyantes où l’on voyait le portrait de la femme colosse du Théâtre-Français avec ces mots :


Venez tous
Accourez tous
Précipitez-vous tous
Au Théâtre-Français

Ne passez pas Sans voir CLARA
la belle tragédienne
Ne partez pas
Ne mourez pas
! ! !