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chevaux eurent lieu en 1915 ; à partir de 1916 les courses de chevaux ont été remplacées par des courses aériennes d’aérostats.

C’est que le rôle du cheval a bien changé depuis Buffon. Le superbe coursier, la plus noble conquête que l’homme ait jamais faite, est devenu un simple animal de boucherie. Les grandes inventions modernes ont permis de le restituer à l’alimentation publique. La vapeur lui avait déjà porté un premier coup, la navigation aérienne l’a tout à fait achevé.

Le coursier déchu ne doit pas être fâché, au fond, de sa situation nouvelle ; tombé au rang de simple bétail, il vit sans rien faire, tranquillement, grassement, douillettement, dormant la nuit dans de bonnes étables bien chaudes et se roulant tout le long du jour dans le foin des prairies semées de pâquerettes ou dans les prés salés des côtes normandes. Quel rêve, ô malheureux chevaux des fiacres d’autrefois !

À part quelques corvées dans les champs, juste ce qu’il faut pour la santé, le cheval n’a plus de soucis. S’il y a encore dans les villes quelques centaines de chevaux qui ne vivent pas tout à fait de leurs rentes, ce sont des exceptions, la grande majorité de la race chevaline ne connaît plus le fouet et les jurons du charretier brutal. Le cheval n’a plus qu’à engraisser ; sa vie est plus courte peut-être, mais elle est infiniment plus agréable. Les honneurs l’attendent au bout de sa carrière, on a ressuscité pour lui l’antique promenade du bœuf gras ; le cheval primé au concours de Poissy est solennellement promené en aérocab par la ville et ses côtelettes paraissent sur les tables patriciennes.

Le grand prix de 1953 était attendu par les Parisiens avec une vive impatience ; trois années de suite les Américains avaient enlevé le prix de cinq cent mille francs donné par la ville, il s’agissait de savoir si la supériorité des véhicules américains allait encore être consacrée par une victoire.

Hélène ne pouvait manquer cette solennité, toute la rédaction de l’Époque devant se rendre au champ de course — on a conservé cette locution des courses chevalines, — dans l’aéronef du journal.

Le soleil était brillant et chaud, la journée s’annonçait bien. Dès onze heures du matin, tout Paris fut en l’air, ce qui n’est pas une métaphore ; tous les véhicules aériens de la ville et des faubourgs, sortis de leurs remises, volèrent dans tous les sens vers les embarcadères des stations et des maisons. C’était par milliers qu’on les comptait, dès qu’on levait le regard vers le ciel et leurs ombres couraient sur l’asphalte des rues ou les façades des