Page:Robida - Le vingtième siècle, 1883.djvu/303

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— Nous le dirons plus tard ; mais en attendant, il vous faut lui accorder la réparation demandée. Voulez-vous de moi pour second avec Marsy ? nous allons arranger l’affaire avec les témoins de votre adversaire… restez là, je vous dirai tout à l’heure le résultat de la conférence… Tenez, voici des cigarettes pour prendre patience… »

Hélène repoussa les cigarettes et resta tristement affaissée dans un fauteuil.

Au bout de trois quarts d’heure, Piquefol revint avec Marsy et le maître d’armes.

« C’est arrangé, dit-il, vous vous battez demain à dix heures avec Mme de Saint-Panachard… Comme votre adversaire est l’offensée, elle a le choix des armes…

— Et elle a choisi ?

— L’épée ! vous vous battez sur la plate-forme de notre salle des dépêches… C’est notre maître d’armes qui nous a suggéré cette idée, il a remarqué que vous rompiez toujours ; sur notre plate-forme qui n’a que six mètres de largeur, vous ne pourrez vous laisser aller à cette mauvaise habitude… on va prévenir nos abonnés et tenir des places à leur disposition… Avez-vous de la chance ! cette petite affaire, convenablement chauffée, va donner à vos débuts dans le journalisme un certain éclat ! »

Hélène se serait bien passée de cet éclat. Décidément le journalisme avait ses désagréments. Au risque de se faire traiter de vile réactionnaire et d’esprit rétrograde par Mme Ponto, elle osa devant elle articuler quelques plaintes et déplorer les fatales conséquences de la masculination de la femme. En ce moment elle eût fait bon marché de tous ses droits civils et politiques et sacrifié jusqu’à son inscription de citoyenne sur les registres électoraux et son éligibilité, pour retrouver la douce tranquillité et la parfaite quiétude des Françaises des siècles passés !

Pour achever son désarroi, le maître d’armes du journal lui donna dans l’après-midi une leçon de combat qui dura deux heures.

« Allons ! allons ! dit le brave homme en lui enseignant la manière de pourfendre son adversaire, un peu de nerf, sacrebleu ! Du coup d’œil et du poignet, sans cela vous vous faites embrocher comme un poulet !… Je la connais, moi, votre madame de Saint-Panachard ; ma femme l’avait pour élève à sa salle d’armes. Elle n’est que d’une demi-force… et elle est un peu boulotte avec cela… si vous vouliez, avec du coup d’œil, vous en feriez une écumoire !… »