Page:Robida - Le vingtième siècle, 1883.djvu/315

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Tous les jours, entre cinq et six, Hélène restait chez elle pour recevoir les effusions téléphoniques de M. Montgiscard. Ce n’était pas très amusant. Ce M. Mongiscard était bien poétique pour un fabricant de papier aggloméré, on ne pouvait toujours se contenter de répondre aux choses gracieuses transmises par le téléphone, par de secs oui ou non !

M. Ponto avait les meilleurs renseignements sur Montgiscard et Cie — ce soupirant téléphonique devait faire un mari parfait. En considération du service rendu à Hélène, il se disposait à l’autoriser à venir faire sa cour en personne, pour marier sa pupille le plus vite possible, lorsqu’un événement inattendu vint se mettre à la traverse de ses projets.

Il était cinq heures. Hélène, avec une exactitude de vieil employé de ministère, venait de s’asseoir devant son téléphone pour entendre les communications de l’aimable Montgiscard. Celui-ci, toujours ponctuel, fit retentir la sonnerie d’appel à la minute précise et commença son heure de galants discours par s’informer de la santé de la jeune fille.

« Ah, dit-il ensuite, quand aurai-je le plaisir de vous dire, sans intermédiaire de téléphone, que je vous adore ! quand aurai-je le bonheur de vous voir ? quand… »

M. Montgiscard s’interrompit brusquement. Hélène, surprise, entendit comme le bruit d’une gifle et le téléphone ne transmit plus qu’un murmure de voix confuses. Le téléphone garda ensuite le silence pendant quelques minutes, Hélène se disposait à quitter sa chambre, lorsque la sonnerie d’appel la ramena dans son fauteuil.

« Mademoiselle ! dit avec un accent courroucé une voix qui n’était pas celle de M. Montgiscard, je viens d’interrompre les roucoulements de Jules par une forte gifle ; vous l’avez peut-être entendu ? Jules est un polisson, un misérable ! voilà quinze jours que je le guette, je me doutais de quelque chose… ne croyez pas un mot de ce qu’il a pu vous dire, c’est moi qu’il aime et je ne lui permettrai pas de se marier ! Tout ce qu’il a pu vous dire, il me l’a dit ! il a promis, que dis-je ? il a juré de m’aimer toujours, et comme il n’y a encore que dix-huit mois de cela, je ne le tiens pas quitte ! Je lui ai fait jurer son amour dans un phonographe, j’ai les clichés de ses serments… Hélas !… j’aimais à me les faire répéter par le phonographe quand il n’était pas là, pour entendre sa voix toujours, toujours !… je l’aimais tant, le monstre ! l’infâme ! le scélérat ! ! ! Et il m’a déjà trompée… et plus d’une fois… ah ! mademoiselle, je vais vous en raconter de belles sur Jules… c’est épouvantable… »