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le temps de s’encrasser et de s’abîmer. La révolution régulière est la soupape de sûreté qui supprime tout danger d’explosion. Pendant le temps d’arrêt des vacances décennales, la machine se nettoie, se remet à neuf et au bout du trimestre, le gouvernement, réparé et rétamé, se trouve de nouveau en état de marcher dix ans sans remontage ni catastrophe.

Dix ans de politique ennuyeuse, c’est beaucoup ! Aussi comme on trouve long chaque mois, chaque semaine de la dernière année ! Comme on attend avec impatience le moment de la délivrance, le jour béni du bouleversement et les distractions sans nombre des vacances révolutionnaires décennales !

On a tant abusé de cette ennuyeuse politique ! Depuis que la politique est devenue une profession régulière à laquelle on destine les jeunes gens dès l’âge le plus tendre, on en fait trop de politique. Les gens du métier, les politiciers, font marcher sans cesse la machine à faire les lois, pour motiver par une bruyante et apparente activité leurs appointements, émargements ou émoluments. L’usine parlementaire chauffe toujours ; quand on n’a pas de lois nouvelles à fabriquer, on défait les anciennes pour les refaire ensuite à la mode du jour. Si l’on s’arrêtait, grand Dieu ! que deviendrait le métier !

D’ailleurs, un politicier de génie a eu une idée triomphante, grâce à laquelle ses confrères et lui sont certains de ne pas manquer d’ouvrage jusqu’à la fin du monde ; toutes les lois sont provisoires. On ne les promulgue que pour trois mois. Au bout de trois mois elles cessent d’être appliquées et reviennent devant la Chambre des vétérans — l’ancien Sénat — qui les transforme et les renvoie à la Chambre des députés. Excellent prétexte à commissions, sous-commissions, commissions d’enquête, à projets, contre-projets, amendements et contre-amendements.

Il faut voir avec quelle joie le pays, sevré d’émotions pendant dix longues années, ennuyé par de sempiternelles discussions parlementaires, accueille les vacances décennales ! Tout est préparé, organisé de longue date pour rendre ces vacances plus agréables et plus pittoresques que celles de là période précédente. Dans toutes les villes des comités se sont formés pour l’organisation de la révolution et la préparation de distractions inédites, de surprises intéressantes et émouvantes. Partout on travaille, on passe les nuits, soit à préparer les accessoires indispensables, soit tout simplement pour se mettre en avance et n’avoir aucun souci d’affaires pendant les trois mois de vacances.