Page:Robida - Le vingtième siècle, 1883.djvu/335

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Philippe n’en resta pas moins à Constantinople. Bien des affaires restaient à liquider. Grâce au téléphonoscope, il put voir chaque soir sa famille et converser avec elle, sans avoir besoin de faire le voyage de Paris.

Hélène, à part les entrevues au téléphonoscope, ne l’avait pas vu de près depuis son départ pour le lycée de Plougadec-les-Cormorans, c’est-à-dire lorsqu’il n’était encore qu’un turbulent adolescent d’une quinzaine d’années et elle une gamine de neuf ans à peine. Aussi fut-ce avec un vif plaisir qu’elle accompagna Mme Ponto au tube de huit heures quarante-cinq pour y recevoir le jeune homme.

Le train eut du retard. Des trains de plaisir amenaient de Munich, de Vienne, de Belgrade, de Bucharest et même de Téhéran, des masses de curieux pour l’ouverture de la révolution. Philippe n’arriva qu’à neuf heures vingt. Ce grand garçon de vingt-cinq ans, vif, nerveux, basané, n’avait pas du tout l’air d’un homme de chiffres. Le séjour de l’Orient l’avait empêché de contracter la raideur et l’air glacialement pratique des financiers occidentaux. Hélène ressentit au fond du cœur une certaine satisfaction de voir que le compagnon des jeux de son enfance était resté l’aimable Philippe d’autrefois.

« Philippe ! dit M. Ponto quand il eut embrassé son fils, tu sais la nouvelle ? trois milliards et demi seulement…

— Quels trois milliards ?

— À la caisse de la révolution… Trois milliards et demi seulement d’économies ! quel infâme gouvernement… j’avais rêvé un banquet splendide pour terminer les vacances, et nous allons être obligés d’y renoncer… À propos, tu as vu la petite Hélène ? tu sais que je n’en suis pas content… Je lui ai fait donner une éducation pratique, comme c’était mon devoir de tuteur, et elle n’est pas pratique !… c’est inconcevable ! Elle a déjà essayé de plusieurs carrières sans réussir… je l’ai mise au Conservatoire et elle n’a pas mordu à la politique ; elle a tâté du barreau et, après un petit succès flatteur, elle l’a quitté sans raison… pour le moment, elle fait du journalisme…

— Je sais, dit Philippe, Hélène est rédactrice de l’Époque… je suis abonné, et j’ai su l’histoire de ses duels…

— De son duel… où, entre nous, elle n’a pas brillé… »

Hélène rougit.

« Je ne veux rien dire contre les revendications féminines, si ardentes aujourd’hui, dit Philippe ; mais…