Page:Robida - Le vingtième siècle, 1883.djvu/341

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la jeunesse régénérée du xxe siècle a de plus nobles aspirations, il lui faut les luttes du forum, les émotions de la guerre civile, les vives sensations de… »

M. Ponto fut interrompu dans ses théories par une violente rumeur sur le boulevard.

« Descendons, sabrebleu ! s’écria la commandante en bouclant son ceinturon. Ayez les yeux fixés sur moi, mademoiselle, et ne m’oubliez pas dans votre article ! »

Un escadron de cuirassiers refoulait la foule sur la chaussée. Les casques et les cuirasses étincelaient, les sabres brillaient, c’était superbe. M. et Mme Ponto ne purent s’empêcher d’applaudir.

« Vivent les cuirassiers ! s’écrièrent cent mille voix sur le boulevard, à bas le gouvernement, mais vive l’armée !

— Escadron ! cria le commandant, en avant, chargez ! »

La foule se rabattit sur les bas côtés et l’escadron continua sa charge dans la direction de la Madeleine.

« Cela ne se gâtera qu’à deux heures ! » dit M. Ponto.

À deux heures, une nouvelle charge de cuirassiers fut reçue par la foule avec quelques pierres et un immense cri de : À bas le gouvernement !

Un flot d’insurgés armés de fusils se porta au milieu de la chaussée, les volontaires de Marseille croisèrent la baïonnette. Derrière eux, la foule abattit les échafaudages d’une maison en construction et se mit en devoir de soulever les pavés. Les applaudissements éclatèrent à toutes les fenêtres du boulevard — À bas le gouvernement ! À bas les ministères masculins ! À bas tout ! En un clin d’œil des barricades s’élevèrent en avant et en arrière des cuirassiers ; l’escadron essaya de franchir la barricade devant le café, quelques cavaliers roulèrent sur les pavés, les autres ne purent ni avancer ni reculer.

Une officière des volontaires de Marseille saisit par la bride le cheval du chef des cuirassiers.

« Commandant, s’écria-t-elle, vous avez fait votre devoir ; pas de carnage inutile. »

La vieille moustache se dressa sur ses étriers pour chercher un passage partout des pavés, partout des barricades, l’escadron était cerné.

« Allons, dit le commandant, autant me rendre à vous, charmante ennemie, qu’à un épicier insurgé… voici mon sabre !