Page:Robida - Le vingtième siècle, 1883.djvu/437

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travers la barrière, perçaient les montagnes et dardaient par la fissure un long rayon triomphant ; des barres transversales s’allumaient sous les nuages et en changeaient brusquement la coloration. Sous l’aéro-yacht, les campagnes s’éclairaient aussi, les teintes sombres s’évanouissaient ; au milieu des plaines jaunes serpentait un long fleuve d’argent, c’était le Rhône. Au bout de quelques minutes, Philippe, avec sa lorgnette, aperçut au loin des tours dorées par le soleil, surgissant au milieu de la verdure.

« Bien, voici Avignon, dit-il au mécanicien ; mettez le cap sur le sud-est, nous allons déjeuner à Monaco. »

Il allait être huit heures lorsque l’aéro-yacht, passant par-dessus Nice, franchit les limites du royaume de Monaco, à quatre cents mètres au-dessus du poteau qui marque la frontière. Ce mot barbare de frontière est bien démodé ; la navigation aérienne a depuis longtemps supprimé les anciennes barrières qui n’entravaient que les expansions amicales et les rapports commerciaux en temps de paix, sans aucunement empêcher en temps de guerre les communications et les expansions à coups de canon. Tout est libre maintenant ; plus de douanes ni de douaniers. Un simple poteau servant de borne et c’est tout. Naturellement, c’est la mort dans l’âme que les gouvernements ont dû renoncer aux douanes et aux droits d’entrée ; mais la contrebande par les voies aériennes étant trop facile, il a bien fallu se résigner à licencier les régiments de gabelous et de receveurs ; les gouvernements, qui ont tant d’imagination en matière de contributions, se sont consolés en inventant une ou deux douzaines d’impôts inédits pour remplacer les douanes.

L’Albatros mit le cap sur l’hôtel du Cercle de la navigation aérienne, à Monte-Carlo, où stationnent tous les yachts des visiteurs du royaume monégasque. Un appartement avait été retenu d’avance par Philippe ; le gérant de l’hôtel attendait les voyageurs au débarcadère aérien. Les deux jeunes mariés sautèrent sur la plate-forme et gagnèrent leur appartement par une série de balcons et d’escaliers suspendus, dominant toute la côte enchantée de Monte-Carlo.

L’appartement, à soixante mètres du sol, possédait une terrasse splendide, chargée de fleurs et encadrée de magnifiques lataniers, d’agaves et d’aloès. C’était superbe ; par toutes les baies, l’œil rencontrait le bleu du ciel ou le bleu de la Méditerranée sillonnée de bateaux aux ailes blanches. Au-dessous du balcon se développait la rive, couverte d’hôtels, de villas à demi cachées dans les massifs d’orangers, de palais appartenant