Page:Rocheblave - Pages choisies des grands ecrivains - George Sand.djvu/47

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qui a amené la vieillesse dans le monde. Votre grand-père, ma fille, a été beau, élégant, soigné, gracieux, parfumé, enjoué, aimable, affectueux et d’une humeur égale jusqu’à l’heure de sa mort. Plus jeune, il avait été trop aimable pour avoir une vie aussi calme et je n’eusse peut-être pas été aussi heureuse avec lui, on me l’aurait trop disputé. Je suis convaincue que j’ai eu le meilleur âge de sa vie, et que jamais jeune homme n’a rendu une jeune femme aussi heureuse que je le fus ; nous ne nous quittions pas d’un instant, et jamais je n’eus un instant d’ennui auprès de lui. Son esprit était une encyclopédie d’idées, de connaissances et de talents qui ne s’épuisa jamais pour moi. Il avait le don de savoir toujours s’occuper d’une manière agréable pour les autres autant que pour lui-même. Le jour il faisait de la musique avec moi ; il était excellent violon, et faisait ses violons lui-même, car il était luthier, outre qu’il était horloger, architecte, tourneur, peintre, serrurier, décorateur, cuisinier, poète, compositeur de musique, menuisier et qu’il brodait à merveille. Je ne sais pas ce qu’il n’était pas. Le malheur, c’est qu’il mangea sa fortune à satisfaire tous ces instincts divers, et à expérimenter toutes choses ; mais je n’y vis que du feu, et nous nous ruinâmes le plus aimablement du monde. Le soir, quand nous n’étions pas en fête, il dessinait à côté de moi tandis que je faisais du parfilage, et nous nous faisions la lecture à tour de rôle ; ou bien quelques amis charmants nous entouraient et tenaient en haleine son esprit fin et fécond par une agréable causerie. J’avais pour amies de jeunes femmes mariées d’une façon plus