Page:Rocheblave - Pages choisies des grands ecrivains - George Sand.djvu/48

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splendide, et qui pourtant ne se lassaient pas de me dire qu’elles m’enviaient bien mon vieux mari.

» C’est qu’on savait vivre et mourir dans ce temps-là, disait-elle encore ; on n’avait pas d’infirmités importunes. Si on avait la goutte, on marchait quand même et sans faire la grimace : on se cachait de souffrir par bonne éducation. On n’avait pas ces préoccupations d’affaires qui gâtent l’intérieur et rendent l’esprit épais. On savait se ruiner sans qu’il y parût, comme de beaux joueurs qui perdent sans montrer d’inquiétude et de dépit. On se serait fait porter demi-mort à une partie de chasse. On trouvait qu’il valait mieux mourir au bal ou à la comédie que dans son lit, entre quatre cierges et de vilains hommes noirs. On était philosophe, on ne jouait pas à l’austérité, on l’avait parfois sans en faire montre. Quand on était sage, c’était par goût, et sans faire le pédant ou la prude. On jouissait de la vie, et, quand l’heure de la perdre était venue, on ne cherchait pas à dégoûter les autres de vivre. Le dernier adieu de mon vieux mari fut de m’engager à lui survivre longtemps et à me faire une vie heureuse. C’était la vraie manière de se faire regretter que de montrer un cœur si généreux. »

Certes, elle était agréable et séduisante cette philosophie de la richesse, de l’indépendance, de la tolérance et de l’aménité ; mais il fallait cinq cent ou six cent mille livres de rentes pour la soutenir, et je ne vois pas trop comment en pouvaient profiter les misérables et les opprimés.

Elle échoua, cette philosophie, devant les expiations révolutionnaires, et les heureux du passé n’en